On craignait leur retour.
Avec leurs errances auprès des Predators ou d'un Ridley Scott ayant visiblement envie de raconter autre chose à partir d'une créature sur laquelle il n'avait plus grand chose à dire, les xénomorphes s'étaient éloignés de leur saga originelle pour se perdre dans un vide intersidéral où personne n'avait plus vraiment envie d'hurler à leur simple évocation.
Dès lors, l'annonce d'un "Alien: Romulus" au casting rajeuni, situé entre les épisodes un et deux de la franchise et venue d'une ère hollywoodienne où fleurit une kyrielle de projets en forme de requels/reboots/revivals souvent décevants de films cultes, ressemblait fortement à une manœuvre désespérée de la part de producteurs pour soutirer encore quelques billets verts d'une carapace extraterrestre de plus en plus fendillée. Au final, seul le nom de Fede Álvarez, auteur du remake réussi de "Evil Dead" et de l'haletant "Don't Breathe", pouvait susciter quelques espoirs d'un nouvel opus ramenant ce fabuleux alien inspiré des œuvres de H.R. Giger à ce qu'il est: l'expression de la plus pure terreur venue du fin fond de l'espace.
Et, bon sang d'acide, on peine encore à y croire mais ce sudoué uruguayen l'a pourtant fait ! "Alien: Romulus" est bien le "Alien 5" tant espéré dans le sens où, en revenant aux fondamentaux de la saga, le film est aussi celui de la vision d'un cinéaste se réappropriant enfin pleinement cet univers pour en livrer sa version -celle de l'horreur la plus poussée que l'on ait vue jusqu'ici- et l'ajouter directement comme une nouvelle pierre au grandiose édifice construit avec "Alien", "Aliens", "Alien 3" et "Alien: La Résurrection".
Eh oui, "Alien Romulus" est bien totalement imprégné de l'empreinte d'Álvarez qui, en amoureux manifeste de la franchise et de l'horreur, va en reprendre un à un les piliers mythologiques pour décupler leur pouvoir de terreur à l'écran dans un roller coaster absolument inarrêtable en termes de variété de péripéties proposées et tout bonnement irrespirable par la tension permanente qui s'en échappe.
Là où on pouvait craindre le pire avec la présence de personnages très jeunes dans le seul but d'attirer des spectateurs du même âge dans les salles, Álvarez évacue d'emblée cette appréhension grâce à un cadre austère (une colonie minière) qui n'a rien de gratuit, prenant immédiatement la symbolique d'un capitalisme adulte tout puissant et pourfendeur sans âme des rêves des nouvelles générations, jusqu'à chercher à éteindre la moindre étincelle d'échappatoire par sa folie. Et c'est donc avec sens, sur la base d'un simple postulat d'évasion vers un possible jardin d'Éden, que ce groupe d'adolescents va s'introduire par le plus confiné et anxiogène des conduits dans l'immensité d'une station où l'Homme a commencé à creuser sa propre tombe, ainsi que la leur... Une exposition savante, laissant monter la tension et vivre ses personnages (dont celle entre l'héroïne et son androïde, cœur émotionnel du film), nous faisant habilement guetter la moindre trace/son qui pourrait trahir une présence ou un indice sur ce qui va déclencher les hostilités tant désirées ou encore reliant avec surprise certaines composantes connues des différents films (et, encore une fois, ce qu'on qualifie habituellement de fan service trouve souvent une utilité à l'intrigue ici)...
Et puis vient le coup de tonnerre dans le silence spatial ! "Alien: Romulus" réveille ses créatures sur une séquence en mode déflagration qui rend toutes ses lettres de noblesse à l'horreur infinie que peuvent représenter les Facehuggers et démarre son grand huit SF de terreur pour ne plus jamais s'arrêter !
À peine le temps de reprendre sa respiration ou de s'émouvoir du sort funeste d'un personnage au détour d'une scène qu'un frémissement labial xénomorphe se fait entendre, qu'une patte de Facehugger se lève de façon menaçante, qu'un gargouillis de ventre devient forcément louche, qu'une goutte d'acide vient virevolter au milieu d'un échange, qu'une géniale idée autour de l'apesanteur chamboule toutes les cartes d'un affrontement à venir, qu'un compte à rebours vient nous rappeler qu'il y a encore pire danger, qu'un "Badass !" nous sort spontanément des lèvres devant ce qui restera une des meilleures séquences de fusillade de l'année... Bref, si vous n'avez pas eu le temps de respirer en lisant cette dernière phrase, vous avez ressenti exactement ce que l'on a éprouvé devant le film, scotché au fauteuil et maintenu dans un état de qui-vive constant tant Álvarez ne ralentit jamais le rythme dans la multiplicité des épreuves proposées et leur caractère anxiogène exacerbé de la plus belle façon.
Le faisant clairement passer à un palier supérieur en tant que réalisateur, sa mise en scène va d'ailleurs déboucher sur bon nombre de plans superbes (oui, le film trouve le moyen d'être visuellement beau dans ses ténèbres) tout en faisant preuve d'une réelle ingéniosité en mixant effets pratiques et CGI pour faire de l'épouvante de ses personnages la nôtre devant ces assaillants extraterrestres qui n'ont jamais paru aussi près de nous donner un coup de griffe à travers l'écran.
Enfin, pendant que Cailee Spaeny s'affirme complètement en nouvelle héroïne tenace de la saga, il faudra bien louer dans le même temps la prestation incroyable de David Jonsson en androïde, nouvelle relecture passionnante d'un être incontournable de ces films (comme tant d'autres éléments) par son caractère dysfonctionnel liant la froideur de la machine à de saisissants sursauts d'humanité.
On émettra peut-être un bémol sur ce qui apparaît dans le dernier acte du film, ce qu'Álvarez apporte comme vraie direction inédite au fond de la saga et qui se montre bizarrement moins attrayant que les xénomorphes déjà connus (sans compter que la chose en elle-même en rappelle d'autres vues ailleurs) mais là aussi, on tendra tout de même à pardonner ce point faible comme le réalisateur se montra toujours aussi généreux pour en tirer moults face-à-face captivants avec son héroïne qui restera sans doute comme une des plus chahutées au sein d'un long-métrage "Alien".
Oui, les Aliens sont bel et bien de retour ! Avec une férocité que l'on ne pensait plus voir un jour. De nouveaux cris se font enfin entendre dans l'espace grâce à Fede Álvarez. Et également pour réclamer une suite.