Ma note pourra paraître sévère à certains et certaines, et sévère, elle l'est en effet. Je souhaite néanmoins préciser qu'elle n'est ni le reflet d'une attente déçue, ni la sanction d'un visionnage difficile. A n'en pas douter, Fede Alvarez est un réalisateur malin et adroit, qui a un goût esthétique certain et qui dispose des capacités pour le porter et le montrer à l'écran. Non, ma note est le miroitement d'un regard fatigué que je porte à l'endroit de la saga Alien. Un regard que la fatigue a rendu acerbe, acide et très critique. Je profite de l'espace qui m'est donné ici pour exprimer et partager avec vous quelques réflexions à propos du film et de ce qu'il véhicule.
Alien Romulus bénéficie d'une réception plutôt tiède, et pourtant plus bienveillante et enthousiaste que pour les deux opus de Ridley Scott, Prometheus et Covenant (https://www.boxofficepro.fr/box-office-us-alien-romulus-trouve-sa-cible/). Des films tout à fait critiquables, bourrés de défauts, mais qui m'avaient pour ma part fascinés, par leur patte esthétique sans pareille d'une part, et les atmosphères mystiques et étranges dans lesquelles ils baignaient de l'autre. Mais leur errement narratif ainsi que leur dimension radicalement iconoclaste a logiquement pu frustrer et déplaire. De cette déception, est née l'idée, largement partagée et diffusée jusque chez les studios qu'il fallait "refaire Alien", je pense notamment au projet avorté de Neil Blomkamp qui souhaitait effacer Alien 3 et 4. Ainsi, en fonction de qui prenait la parole à propos d'Alien, il fallait ôter, au choix, tel ou tel épisode, afin de revenir à ce qui, disait-on, constituait la véritable essence d'Alien. Idée qui a fait du chemin puisqu'elle a finalement aboutie à Alien Romulus, qui ne reboote finalement rien, mais dont le rôle de spin-off n'amène rien de nouveau non plus.
Tout me laisse à penser que nous sommes face à une situation équivalente à celle entourant la sortie de Star Wars 7, il y a maintenant 9 ans. Une sortie qui, si vous vous en souvenez bien, devait elle aussi venir corriger ce qui étaient considérés comme les errements des épisodes précédents. Articles et forums explosaient de discours à propos de ce que serait :
- "l'essence" d'une saga ;
- "le respect" dû à une saga ;
- "la compréhension" d'un univers, jusque dans ses ramifications étendues ;
- "un nouvel épisode" qui permettrait de reconstruire sur des bases saines
Le résultat pour la saga Star Wars, et il en sera sans doute de même pour Alien, est me semble t-il très mitigé. Les raisons de ce semi-échec, je précise semi car les sommes rapportées restent colossales, sont claires.
Comme le soulignait de manière très juste la critique de Voracinéphile (disponible ici : https://www.senscritique.com/film/alien_romulus/critique/307757283), Alien Romulus "a oublie d'être un film", à mon sens car celui-ci se trouve complètement écrasé par la mythologie dans laquelle il s'insère. Les différentes interviews de Fede Alvarez laissent apparaître une situation effectivement complexe pour lui, mais une situation désormais tout à fait courante et banale dans un cinéma qui déborde de sagas faisant office de "monstres sacrés", idolâtrées et fétichisées.
Alien : Romulus est une lettre d'amour à ces quatre visionnaires [Scott, Cameron, Jeunet et Fincher, NDLR] . Quand, dans le film, vous voyez un facehugger depuis le plafond, puis que la caméra tombe et pivote, c'est typiquement un hommage au Alien 3 de Fincher. Même chose dans cette autre scène où vous êtes carrément à la première personne dans la peau de la créature. (Interview d'Alvarez parue dans Le Point le 13/08/2024, https://www.lepoint.fr/pop-culture/fede-alvarez-alien-romulus-est-une-lettre-d-amour-a-scott-cameron-fincher-et-jeunet-13-08-2024-2567851_2920.php)
Fede Alvarez adopte donc le comportement attendu du dévot face à une idole : il présente et appuie ses hommages et rassure quant au fait qu'il a toujours été un fan absolu, compréhensif des apports des uns et des autres. Je vous invite d'ailleurs à visionner plusieurs entretiens du réalisateur pour pouvoir constater par vous-même ces schèmes répétitifs et qui visent notamment à donner une image lisse et proprette de ce qui constituerait une famille "Alien".
Il faut néanmoins rappeler que face à une base de fans dont des parts non négligeables sont très agressives et dont les formes diverses de cyberharcèlement sont largement normalisées (et entendues), une sortie de film réussie et une sortie qui ne fait pas de vague. Un film moyen, avec un box office acceptable, ne suscitant pas de polémique trop importante, est une sortie réussie.
La mission est donc accomplie pour Alien Romulus, qui est donc ce qu'il devait être : un simple réagencement. C'est une succession de séquences, plus ou moins bien mises en scène et que l'on pourra juger "efficaces", qui vont tantôt faire écho à d'autres films de la saga, ou tantôt chercher à innover marginalement à partir d'un des matériaux à disposition : facehugger, acide, gravité zéro, Alien (multipliable), accouchement (l'avortement ayant déjà été proposé). L'utilisation abusive et ad nauseam de ces petits fétiches matérialisant la mythologie ALIEN, condamne à la fois cette dernière, le film et la saga à rester dans un auto référencement permanent.
Je me souviens avoir vu la version longue d’Aliens, le retour, où il y a un plan d'enfants qui jouent dans leur colonie. Je me suis dit que ça serait intéressant de se demander comment ils vivent cette expérience, ce que ça fait de vivre dans un monde si dur. (Interview d'Alvarez parue dans GQ le 14/08/2024)https://www.gqmagazine.fr/article/alien-romulus-fede-alvarez-interview
En faisant le choix de s'insérer entre le premier Alien et le second, Alien Romulus se fige à la fois esthétiquement et thématiquement. Féminisme d'une héroïne à la Ripley, aspect technologique de la fin des années 70, métaphore du viol, traitement de la robotique, références discrètes à Giger... Rien n'a bougé depuis 1979.
J'ai pu lire que Alien Romulus proposerait une lecture politique, économique et sociale de la conquête spatiale intéressante. A première vue, c'est l'objectif de la séquence introductive que de venir dévoiler les conséquences de la main mise par de grandes compagnies coloniales sur la vie et les trajectoires de populations entières. Décisions arbitraires, discours mensongers, conditions de travail effroyables, les éléments sont réunis pour construire un cadre froid, austère et quasi carcéral dans lequel prendre et entoiler nos jeunes personnages. Pourtant, ce cadre apparaît vite comme inopérant et complètement factice, tenant une nouvelle fois davantage de l'autoréférence à la mythologie ALIEN que d'une volonté d'explorer des thématiques et des questionnements actuels. La preuve ? S'échapper d'un univers carcéral et a priori disciplinaire n'est jamais apparu aussi facile, physiquement et mentalement. Weyland-Yutani demeure cet ersatz de compagnie capitaliste "méchante", mais dont l'exploration de sa dimension potentiellement paternaliste n'est jamais abordée. Ce que je veux dire par là, c'est que nos personnages traitent celle-ci comme un employeur lambda, quand bien même ils et elles sont né.e.s en son sein ! Les dialogues sont, à ce titre, assez grossiers, et reflètent ce manque de réflexion globale sur l'univers et les personnages qui y évoluent, qui manquent d'épaisseur et d'ambivalence.
Si Alien Romulus est un film appréciable mais sans surprise, il reste avant tout un produit : un produit tout à fait conforme aux attendus, ceux de Disney et ceux d'une partie du public. Mais il n'est à mes yeux qu'un veau de métal fondu, une contrefaçon de bonne facture mais dont le manque d'originalité lui fait perdre une grande partie de son intérêt. Peut-être nous faut-il être davantage iconoclaste quant à nos idoles ? Je laisse le mot de la fin à Fede Alvarez, qui répondait à un journaliste l'interrogeant sur la possibilité que le public se lasse de la saga Alien :
c'est que c'est extrêmement difficile de faire disparaître une marque aussi solide qu'Alien, de la remplacer. Au mieux, vous sortirez exactement la même chose en changeant simplement le titre. Je ne vois pas l'intérêt. Peut-être que je me trompe.
Je vous renvoie à d'autres critiques qui vous permettront d'avoir des points de vue complémentaires et parfois divergents du mien, mais dans lesquels je me retrouve cependant pour partie :
Behind_the_Mask : https://www.senscritique.com/film/alien_romulus/critique/299173595
Voracinéphile : https://www.senscritique.com/film/alien_romulus/critique/307757283
MetalliCHAOS : https://www.senscritique.com/film/alien_romulus/critique/303145133