C’est avec Aliens qu’on se rend compte d’à quel point la figure de l’Alien peut se renouveler avec brio. En effet à l’inverse de Scott, Cameron fait du monstre de la chair à canon et de son long métrage un film de guerre. Adieu silence mortifère et couloirs vides du Nostromo, bonjour ruines grouillantes et cacophonie des armes !
Tout d’abord parlons de cette version longue qui m’a permis de redécouvrir le film, l’ayant auparavant vu en version cinéma. Les nombreuses nouvelles scènes au début du film rendent bien meilleur le rythme de celui-ci en le ralentissant. On a d’ailleurs droit à des séquences du côté des colons ainsi qu'une scène où Ripley apprend la mort de sa fille et BORDEL ça change tout pour sa relation avec Newt. La séquence avec la mitrailleuse est également un grand moment de stress donc super ajout.
Bon soit, mais sinon, que fait Cameron de son film ? Comme dit précédemment : une suite qui ignore presque le premier en démystification l’Alien, heureusement c’est pour en faire autre chose. Car si on pourrait se faciliter la vie et dire que ce n’est qu’un film d’action qui fait kaboum, eh bah… ce serait injuste. Car c’est un film d’action qui fait kaboum, certes, mais ce n’est pas juste ça.
Si les aliens sont aussi nombreux que la quantité phénoménale de munitions tirées, leur menace ne faiblit pas pour autant. D’ailleurs le montage insiste bien plus sur les expressions faciales des soldats, les détonations et les impacts que sur les xénomorphes explosant tels de vulgaires insectes. Cela donne l’impression que les soldats sont impuissants, un peu à la manière du groupe de mercenaires de Predator dans la fameuse scène du mini-gun.
Loin de l’ambiance virtuose du premier opus, Cameron sait tout de même forger un film tendu, très dynamique et oppressant. L’esthétique légèrement grise-bleutée (couleur préférée de Cameron) donne des allures de nuit éternelle et sinistre au film. Elle s’illustre également par des décors en ruine où tout se confond, des éclairages rouges, blancs, bleus, des ombres mouvantes et de la fumée. Un tout renforcé par des plans majoritairement serrés qui se focalisent sur les personnages. D’ailleurs on peut ici faire un énième parallèle avec le premier film : dans Alien on a souvent des plans larges où les personnages sont absents, les décors étant filmés avec attention comme s’ils avaient un visage capable de s’articuler pour révéler maintes émotions. Ici c’est tout le contraire, le décor est mis en valeur mais il n’est pas organisé par un cadre parfait qui lui donne la vedette, il est en mouvement, il est chaotique, et derrière des personnages qui courent dans tous les sens. Les rares plans larges où les décors sont le cœur sont de fait grandioses et marquants.
Aliens sait heureusement se poser et maîtrise son rythme notamment grâce à l’utilisation très modérée de la musique, donc lorsque celle-ci éclate le résultat est impressionnant.
La mise en scène très fluide de Cameron n’est pas pour autant uniquement bourrine comme en témoigne ces exemples : la transition entre Ripley et ce qui semble être la Terre nous fait comprendre qu’elle appartient à un temps ancien… [entrée dans le cadre de la station spatiale] qui a laissé place à des structures métalliques en orbite, ce que l’on découvre après en apprenant qu’elle a passé plus de 50 ans en cryogénisation. Dans la station, la forêt sur l’écran nous est d’abord montrée comme vraie puis la caméra se tourne vers une installation artificielle prouvant que ce ne sont que des écrans, là aussi la Terre a laissé place à l’espace froid et matériel. Lors de leur cryogénisation, les soldats sont filmés comme des objets en série (la perspective qui les fait tous entrer dans le cadre successivement), mais Ridley incarne une individue et non une armée, de ce fait elle est filmée seule sous un angle différent. Lorsque Ridley utilise l’exosquelette pour la première fois on a un plan sur les pieds de la machine orientés vers la gauche, et lors du climax on a le même plan mais inversé, montrant le parcours de l’héroïne. Bref, c’est du très bon.
Cameron livre ici un film d’action qui met l’accent sur son côté survival. Comme il le fera dans Abyss quelques années plus tard et indirectement dans Avatar, le réalisateur se sert des Marines pour dépeindre une intervention militaire irréfléchie et impulsive. Et si Abyss se sert des enjeux de la guerre froide pour résumer son propos sur l’armée, c’est bien avec Aliens que Cameron crée son tableau le plus complet. Hiérarchie bureaucrate, têtes brûlées, camaraderie suicidaire, le badass comme expression sexuelle, et l’envie de faire planner son drapeau sur des terres inconquises. L’alien sert ici d’ennemi militaire colonisé considéré comme une foule d’animaux (sauf qu’ils savent couper le courant, et d’ailleurs ça intrigue un des Marines qui dit « mais ce ne sont que des animaux ! »), bon évidemment ça reste des bestioles primitives, mais le parallèle avec le Vietnam me semble assez clair. Surtout avec l’accoutrement des militaires et l’iconique lance-flamme qui renvoie au napalm (ce qui est explicité dans la scène où Ripley brûle les œufs).
Il serait cependant faux d’attribuer la place du méchant à l’armée car l’antagoniste du film, au-delà des aliens et de leur reine, c’est bien Burke. En d’autres termes le représentant de la corporation, figure privée (et non étatique) d’un colonialisme guidé par le profit. Burke est, disons-le, un gros salopard égoïste ne pensant qu’à son futur, s’imaginant dans un transat sur une planète paradisiaque. Un propos que reprendra Cameron dans Avatar d’une manière plus nuancée (film qu’il imaginait déjà dans les années 1990).
Bien que cette suite soit un anti Alien (le premier film), Aliens sait d’où il vient et prend un malin plaisir à nous tromper avec Bishop, androïde aux manières artificielles, qui tout au long du film fournit aux protagonistes maintes informations. Des informations sur lesquelles nous n’avons pas de grande preuve. L’intrigue ira même jusqu’à le laisser partir seul pour prendre le vaisseau, seule issue de sortie pour Ripley et les autres. Tout ça rend son retour final héroïque et participe à l’évolution de Ripley : sortir du traumatisme : Ellen le fait en combattant les aliens, en protégeant Newt (la fille qu’elle n’a pu avoir) par un combat d’égal à égal avec Maman xénomorphe, mais également en refaisant confiance à un androïde.