Il faut remonter loin pour parler d’une adaptation de Gunnm, le manga de science-fiction de Yukito Kishiro qui appartient à cette catégorie d’œuvre de la SF capable de conserver une actualité avec notre réalité. Près de 3 ans après les débuts de la publication, on pouvait trouver sur le marché de la vidéo un OAV de double épisode adaptant les deux premiers tomes en animation ou les plus curieux peuvent passer par là pour découvrir l’univers de la décharge Kuzutetsu dominé par la cité des airs Zalem.
Pour l’histoire autour de l’adaptation en film live, le nom de James Cameron y est accroché puisqu’il a été présupposé comme réalisateur avant que le projet ne retombe entre les mains de Robert Rodriguez. De quoi susciter des inquiétudes sachant que le cinéaste mexicain s’est fait connaître par des films proches de la série B comme El Mariachi et qu’il a fait les montagnes russes sur sa carrière. Même si Cameron a gardé une proximité avec ce projet en tant que scénariste et producteur aux côtés de John Landau.
Et pourtant après avoir vu ce film en salle, je peine à croire qu’il y ait beaucoup de partie du scénario originel de Cameron qui ait été gardé tant j’en suis ressorti divisé et pas vraiment avec positivisme. Et ça me fait mal de le dire parce qu’il y avait enfin une espérance de voir une adaptation de manga ou d’animé japonais pleinement crédible depuis Speed Racer des Wachowski. Donc ça me sera difficile de mettre de côté ce que je sais du manga et de l’OAV qui a vu le jour ensuite.
Dés les premières minutes en fait on peut faire le point sur l’un des poncifs principal du film : sa volonté d’embellir l’image et d’édulcorer la représentation des éléments clés du manga pour rendre le film accessible au grand public. Le choix de la photographie, la texture du premier corps de cyborg de Gally, la cité de Kuzutetsu/Iron City en elle-même, tout cela fait souvent trop propre pour qu’on arrive à s’imaginer dans une immense ville décharge (on a même un marchand qui vend du chocolat comme on en trouverait sur un marché en centre-ville, je ne suis pas contre les libertés mais avouez qu’il y a un gros problème pour un univers censé être impitoyable).
A ne rien vouloir salir et à vouloir étancher les décors, le manga en lui-même perd sa force et l’univers censé jouer sur la lutte des classes, la domination des puissants sur les faibles ou encore la quête d’humanité de l’héroïne au travers sa mémoire défaillante et lentement reconstruite, n’arrive pas à avoir d’impact. Et la quête ou l’évolution d’un personnage passe très souvent par l’environnement dans lequel il évolue, ou qu’il découvre et en l’occurrence la crasse extérieure de la cité comme la pourriture intérieure qui y vivait ainsi que les quelques âmes charitables rencontrés par Gally était une des raisons qui faisaient marcher le parcours de la cyborg.
Au-delà du travail graphique trop embelli, il y a tout aussi bien à boire et à manger du côté des personnages. Si Alita et le docteur Dyson Ido sont rendus assez crédible individuellement ainsi que dans la relation père/fille qui s’instaure, la manière avec laquelle Hugo (Yugo dans la version originale) est introduite et est traité se montre cruellement vaine dans les faits. Parce que là encore, on assiste à un embellissement qui rend très artificiel la relation noué entre Alita et lui, d’abord par le physique de Keean Johnson qui aurait beaucoup plus sa place dans un Teenage movie qu’ici. Et cela est encore plus démonstratif quand on voit comment ont été écrit les dialogues aussi cliché que mièvre entre ces deux là, et je n’ose pas imaginer que Cameron ait laissé passer ça (surement des réécritures de Laeta Kalogridis qui n’a pas une carrière de scénariste ultra reluisante).
Sans déconner, j’avais même plus l’impression d’être dans Gunnm lorsqu’Alita propose à Hugo de prendre son cœur pour rejoindre Zalem tant leur relation n’a plus rien de naturel ou de spontané, mais vraiment, qu’est-ce qui s’est passé là ? C’est Gunnm nom d’un troisième testicule, pas Twilight !
Je prends bien conscience que cela devient redondant de me référer à la BD de Yukito Kishiro pour faire mes reproches, mais même pour un non connaisseur cette relation n’a rien de constructif ou de solide. A l’origine, Yugo est un simple dépanneur et un dépouilleur au physique simple, pratiquement aussi immature que l’était le corps de Gally et la cyborg en début d’aventure mais dont la passion pour son rêve se ressentait vraiment, ou on pouvait réellement le prendre en empathie comme pion du système de Kuzutetsu (ou Iron City pour les amerloques et les non connaisseurs de la BD).
Et surtout l’insignifiance de leur existence prenait une grande force par cette première histoire d’amour brève et inévitablement tragique, l’une découvrant de plus en plus la saleté de la bassesse humaine et de la société au sein de la décharge et Yugo, désespéré après sa transformation en cyborg, tentant le tout pour le tout en ne comprenant que trop tard l’importance des sentiments que Gally lui portaient.
Toutefois, Robert Rodriguez fait le choix de prendre son temps pour tenter d’immerger son public, d’installer ses personnages, le fonctionnement des hunter-warrior (ici guerrier-chasseur… je dis pas souvent cette phrase ironique mais là, merci la VF) et d’étaler ces 3 premiers tomes pour montrer un univers large et à la fois fidèle autant que le permet le système Hollywoodien. Et en effet c’est fidèle, il y a des choix d’adaptations qui s’imposaient et qui passent correctement
(la connaissance du Motorball par l’implication d’Hugo, la brève apparition de Jashugan/Jasugun, la menace Nova)
, une ambiance qui arrive à fonctionner par ses choix graphique par moment (le design du Berserker que portera Alita et son mode d’adaptation à son hôte) et à de trop rares occasion l’esprit du manga arrive à transparaître.
Et quand je dis ça, je cite surtout l’une des séquences les plus vendus du film qui est la partie de Motorball. Bien filmé, dynamique et surtout se rapprochant plus nettement de la violence très graphique et forte du manga, chaque minute consacré à ce sport est un divertissement solide et prenant ou on sent enfin une application globale de la part de tous. Chose qu’on aurait vraiment voulu retrouver pour l’immersion dans le reste de la décharge citadine (on la brutalité vendu par les hunter-warrior n’est pas si présente que ça ne dehors du comportement de l’orgueilleux Zapan) et l’écriture de l’ensemble des protagonistes.
Sauf que quand ça n’est pas l’immersion ou justement certains personnages déjà existants, c’est aussi la reprise sur l’OAV de 1993 de quelques éléments qui énervent (notamment le personnage de Chiren joué par Jennifer Connely qui n’arrive pas à avoir le moindre poids sur l’ensemble du film) car ils démontrent en plus en quoi cette version live n’arrive pas à se créer une identité propre. Un reproche sur lequel on peut notamment s’appuyer sur le travail de Robert Rodriguez qui disait vouloir filmer comme un fan de James Cameron pense que celui-ci filmerait.
Alors autant le dire tout de suite : Robert Rodriguez n’est pas James Cameron, d’ailleurs on va le dire tout net personne ne peut imiter un auteur comme James Cameron qui a toujours eu une vision large et très construite des films qu’il a crée que ça soit une saga comme Terminator, Titanic, un remake d’une comédie française à la sauce américaine ou encore Avatar. Là ou Rodriguez a débuté comme réalisateur de série B et est loin de se hisser au niveau des grands qui ont débuté en autodidacte ou en se façonnant une identité personnelle au moins remarquée.
Par conséquent, entre le visuel kitsch et même trop propre pour une adaptation de SF à la profondeur loin d’être parfaitement retranscrite, les réécritures douteuses et sujettes à reproches, les rôles quasi transparents et la réalisation de Robert Rodriguez pratiquement impersonnelle et ou il ne s’impose pas lui-même, on obtient un divertissement qui plaira à la moyenne des gens mais qui aura de quoi fâcher beaucoup d’adepte du manga ou même de la science-fiction en général un temps soit peu renseigné sur la réputation de l’œuvre.
Et il ne faut pas compter sur Tom Holkenborg alias Junkie XL, compositeur hollandais tellement habitué dernièrement aux blockbusters fades voire lambda que sa musique l’est tout autant et est très loin de rendre honneur à la bande-dessinée japonaise.
Alita : Battle Angel a le mérite de ne pas être aussi daubé que d’autres récentes adaptations de manga, a des acteurs bien choisis pour ses protagonistes, une volonté existante de recréer l’univers du chef d’œuvre de Yukito Kishiro et des scènes d’actions plutôt agréablement foutu. Mais la volonté ne suffit pas et au final ce film s’ancre très bien dans le Hollywood moderne avec cette tendance à livrer des blockbusters pour l’ensemble trop aseptisé et sans audace, aux problèmes d’écritures et de cohérences qui freinent totalement l’émotion et l’envie de s’y replonger. Au mieux on peut le prendre comme un divertissement acceptable avec un peu de tolérance, au pire on pourra toujours se replonger dans les 9 tomes du manga en lot de consolation.