Curieux film ce All Eyes Off Me, film israëlien passé totalement inaperçu, et qui pourtant mérite qu'on s'y attarde. Je ne suis pas fan des films divisés en plusieurs parties, je ne trouve pas ça judicieux la plupart du temps. Pour le coup ici, ça fait plus "jeune réalisatrice qui se cherche" que "choix réellement cohérent et réfléchi". C'est à la mode on va dire.. c'est "stylé" comme disent les djeuns.
Rien qu'avec l'affiche, on devine vers quel genre de cinéma la réalisatrice se tournera. Les lettres capitales, rouges, nous rappellent bien évidemment les titres de Gaspar Noé, cette colorimétrie de l'image aussi. Mais.. même si il y a un peu de Noé au sein du film, ça reste très léger.
D'autres inspirations se voient beaucoup mieux, donc cette affiche, bien qu'elle soit magnifique, nous induit légèrement en erreur. Ici, on est réellement chez une autrice qui fait quelques choses de son bagage cinéphilique, elle n'est pas juste là à déballer ses références, et ça fait plaisir.
J'ai plutôt aimé la première partie du film, avec cette caméra à l'épaule très immersive qui nous fait suivre cette femme dans un univers sale, où seul le désespoir règne, avec des changements de couleurs systématique à chaque changement de pièces.. Du rouge, du jaune, du vert.. Finalement c'est dans cette partie qu'on ressent plus le côté Gaspar Noé.
Je trouve malheureusement que les dialogues lors de cette partie sont un peu trop écrits, les acteurs récitent, et donc ce monologue sur l'avortement on n'y croit pas trop, alors que c'est un peu le point de lancement du film.. On comprend que cette introduction servait à parler de la jeunesse et de la misère à laquelle elle est confrontée, mais bon.. ça manque de finesse.
Le style change radicalement lors de la deuxième partie. On est sur quelque chose de plus lent. Nous suivons un jeune couple qui trouve satisfaction suprême au sexe. Ils vivent de ça, c'est leur raison de vivre, la seule chose les sortant de leur ennuie. On pourrait penser à Larry Clark, avec cette jeunesse perdue, ce couple qui ne s'élève pas et qui stagne à cause de la drogue et de la consommation d'un sexe violent. Disons qu'ici, on est moins dans l'illustration du chaos, c'est plus intime, et c'est ce qui crée l'empathie pour ce couple.
Hadas Ben Aroya joue beaucoup avec le malaise, en enchaînant les situations gênantes, parfois grotesque, pour provoquer de la gêne, et pour écœurer le spectateur de cette jeunesse paumée qui ne sait comment garder un équilibre de vie sain, et qui se conforte dans la douleur et le désespoir. En particulier la fille, qui demande à se faire battre par son copain. Ça peut rappeler Ken Park et The Smell of us. Cette partie est assez naturaliste, avec peu de dialogues, et des plans souvent fixes, on pense au travail de Tsai Ming Liang.
La réalisatrice est douée pour filmer l'intime, les corps qui se frottent, avec des plans séquences ingénieux, avec une caméra parfois assez éloignée des sujets, parfois plus proche, toujours réfléchis selon ce que les personnages ressentent. La sensualité a tendance à ne faire qu'un avec l'intimité, tandis que la violence est plus intrusive.
Je ne comprends pas trop la transition entre les parties 2 et 3, enfin je comprends ce qui les différencient, mais aucun changement d'espace et de temps entre les deux.. Ça sonne plus comme le dénouement d'un acte, qu'un changement purement radical d'acte.
L'attente est vraiment un sujet fort du film, on est continuellement en train d'attendre que quelque chose se passe dans la vie de ces jeunes.. en vain (ou presque) ! La réalisatrice fait augmenter la tension sexuelle avant chaque scène de sexe, pour justement que le spectateur puisse la ressentir lui-aussi.
Cette troisieme partie est encore plus naturaliste, on touche bien plus ici au sentimentalisme qu'à la bestialité. Après avoir connu un amour jeune et violent, cette femme tente une nouvelle expérience : un sexe réconfortant auprès d'un vieil homme, pour essayer de casser sa routine destructrice. Celui ci, raisonnable, ne demande rien de plus à cette jeune femme qu'un simple baiser. C'est beau, poétique et très signifiant. On se croirait chez Rohmer.
Le plan-séquence final que dire.. il est magnifique.. Ce doux moment ne durera qu'un temps et pourtant, il marquera durablement la vie de cette jeune fille et de l'homme âgé. La réalisatrice joue habilement avec le minuteur, on sait que la fin est proche, elle arrive, elle est là.
ECRAN NOIR - FIN.
Prometteuse cette réal' ! En plus ici, on ne peut pas se plaindre du male gaze !