Quel ravissement de découvrir ce film en compagnie de Nuri Bilge Ceylan lui-même, à Cannes. Depuis la découverte qu'a été Winter Sleep, chacun de ses films raisonne en moi différemment, mais chacun d'une force folle.
Et ce dernier n'échappe pas à la règle, au contraire, il la surpasse, venant se placer légèrement devant Il était une fois en Anatolie.
Ayant toujours eu du mal avec La Chasse de Vinterberg qui discréditait à mon sens la parole des enfants, dans Les Herbes Sèches l'histoire d'accusation prend tout son sens, elle amène quelque chose de plus profond et d'une subtilité inqualifiable.
Rares sont les films aussi humanistes, qui aiment tous ses personnages sans pour autant les rendre manichéens. Non, tout le monde est humain, terrassé par ses propres démons, mais pour chaque être, sa nature profonde. Comme le laisse entrevoir cette tempête de neige qui fait office d'introduction, s'il fait ce temps là, c'est sans raison particulière. Simplement parce qu'il fait ce temps là.
Depuis quelques films, comme une impression que Ceylan rejoint l'une des thématiques chères à Dumont, celle des tiraillements humains. Sauf que Ceylan est dans la retenue, dans la psychanalyse.
Pour lui, le plus important c'est la réflexion, la pensée que l'on a sur soi-même, mêlée à celles des autres. Pas l'explication, non sûrement pas, car ce qui mène à la défaillance du système, c'est simplement la fusion entre qui on est, et ce qu'on pense faire pour paraître.
La confrontation verbale est, comme dans les autres films du réalisateur, un moyen de s'ouvrir, jamais de se fermer. Et bien que les mots soient exagérés, lointains, ils nous transpercent comme chez Bergman. Les discussions ont souvent lieux dans des endroits clos, avec très peu de personnages et une absence de musiques, même lors des scènes plus tendues. Un paradoxe se crée, d'un côté le parlé semble à des années lumières des mots que l'on prononce nous, de l'autre ils paraissent si vrais, car ce qu'ils signifient renvoie directement à nous, à ce que chaque être est, à notre essence la plus pure.
Bien évidemment, il est difficile de tout intégrer, tant lorsque les personnages débitent, ils ne s'arrêtent plus, mais dans l'absolu ce que l'on retient, c'est simplement ce que l'on veut retenir nous, les paroles les plus proches de nous.
Le cinéma de Ceylan évoque le langage universel, celui compris par tous, sans jamais se complaire dans sa grandiloquence.
Il n'a pas besoin de faire des plans serrés, d'utiliser la longue focale, car on se sent déjà avec ses personnages. Lui ce qu'il veut, c'est nous enfermer avec des grands angles, qu'on ait l'œil sur chacun d'eux. Le reste, c'est notre esprit qui s'en charge. D'où le côté ludique qui ressort à chacune de ses propositions.
La fin résume à elle seule son cinéma. C'est beau et intimiste, mais nous-même, spectateurs, en faisons quelque chose de grandiose, car nous vivons, nous pensons et nous savons.
Indéniablement ma palme d'or.