Calvaire de Fabrice Du Welz, sorti il y a maintenant 10 ans, était une entreprise si marginale que je m'étais dit que je verrais le prochain film que ferait le réal, quoi que ce soit. Ce film, je pensais que ce serait Colt 45, mais finalement c'est Alleluia, filmé après mais déjà projeté lors du dernier festival de Cannes. En quatre ans, c'est la première fois que je ne vais pas au festival, mais la première que, du coup, je vais à la reprise de la sélection de la Quinzaine des réalisateurs, au forum des images. Dieu les bénisse. J'ai pu voir Alleluia en avant-première, en présence du réalisateur.
Alleluia est très librement inspiré de l'affaire des "honeymoon killers", un couple de serial killers, qui ont déjà eu quelques films à leur sujet. Le couple, originellement américain, se retrouve dans les Ardennes pour ce film, et à on ne sait quelle époque : si on voit un ordinateur au début du film, on dirait par la suite que l’histoire se situe dans les années 80 tout au plus, d’autant qu’à chaque fois qu’un personnage lit un livre, il s’agit d’éditions rétros de romans policiers à la Simenon.
Quand le film a débuté, j'ai cru qu'il s'agissait d'autre chose : une bande-annonce, une pub, ou un court-métrage. Le premier plan, qui nous présente un corps nu, disgracieux, lavé à l'éponge, dans la pénombre, avec une image très granuleuse, m'a très fortement évoqué ces films étrangers qu'on ne voit que dans une poignée de cinéma d'art et d'essai (Porfirio ou Le dernier voyage de Tanya me sont venus à l'esprit, là-dedans aussi il y avait cette nudité crue et repoussante).
Pourtant, le titre apparaît, "Alleluia", en grand, et le doute n'est plus permis. Mais l'impression première persiste : il y a beaucoup de plans fixes, beaucoup de gros plans sur les visages, très peu de musique, des décors dépouillés, ... La mise en scène ressemble à une imitation grossière du style du film d'auteur, plus qu'autre chose, tant cette façon de filmer n'est pas maîtrisée et s'avère gênante. Hormis tous ces gros plans, il y a même carrément des amorces qui prennent la moitié de l'écran !
Et le grain de l'image est si visible que sur quelques plans on dirait presque voir un film crypté sur Canal+.
Heureusement, on a de l’intérêt pour le personnage principal, Michel, interprété par Laurent Lucas. Si il y a bien une remarque pertinente qu’a fait le réalisateur après la séance, c’est que l’acteur est sous-exploité dans le cinéma français, réflexion que je m’étais faite après avoir vu sa performance dans Calvaire. Il est intéressant de le voir passer du rôle de victime, dans ce dernier film, à celui de prédateur dans Alleluia. Michel rencontre des femmes pour leur soutirer de l’argent, et à chaque fois se prépare en se prêtant à un rituel "magique" et en répétant des répliques toutes faites. C’est amusant de voir la rencontre, l’amabilité calibrée de Michel, le discours plein de belles remarques, forcément préparé à l’avance, … Mais son numéro de charme n’est pas infaillible, "alors vous travaillez à l’hôpital ? Vous sauvez des vies.", eh non, Gloria lave les morts à la morgue !
Michel redonne un peu de joie de vivre à cette femme esseulée, et dès le lendemain de leur rencontre, il l’exploite déjà, et puis s’en va. Je me suis dit qu’aussi bien pour lui que pour le spectateur, on passait à côté du plaisir sadique de faire durer la mascarade, mais le film part dans une autre direction : Glora retrouve Michel, elle apprend pour toutes ces femmes qu’il séduit et arnaque, et… je ne comprends pas pourquoi, mais elle lui propose de continuer ce qu’il fait, mais en restant en couple avec elle. Ca tombe comme un cheveu sur la soupe.
Forcément, Gloria se montre jalouse de la prochaine victime de Michel, et le manifeste en réagissant comme une véritable gamine qui fait un caprice : elle tape des pieds, elle crie en pleine nuit, etc. Une impression renforcée plus tard en voyant que Michel parvient à la consoler en faisant des grimaces débiles, c’est à se demander si elle n’est pas autiste la moitié du temps. Et il faut dire que Gloria gueule souvent (en agitant les bras dans les airs comme une enfant à qui on refuse un jouet), étant visiblement à la fois parano et hystérique.
J’ai eu plus de pitié pour la première victime de Michel après la rencontre avec Gloria, cette pauvre femme qui se fait berner, et qui décrit avec soin la façon dont Michel la fait se sentir.
"Quand on est amoureux, c’est merveilleux", dit-elle notamment ; une réplique qui reprend le titre d’un court-métrage de Fabrice Du Welz (que j’avais aussi vu au forum des images, à la dernière édition du festival Paris cinéma), et qui me fait me rendre compte que le point commun entre les 3 films de lui que j’ai vus, c’est le thème de l’amour ! Un amour plus ou moins tordu.
D’ailleurs en milieu de film, Gloria se met à chanter à propos de leur amour, durant un plan-séquence qui se termine par la découpe, très réaliste et crue, du pied d’un cadavre.
Ce sont ces moments un peu WTF, voire expérimentaux, qui valent le coup d’œil. Il y a une scène de danse autour d’un feu, où les corps nus ne sont plus que des ombres qui s’agitent, et où les plans et les accélérés sont du meilleur effet. De plus, il y a de temps en temps des personnages décalés, des blagues inattendues, mais pour certaines grotesques, comme cette histoire de mission en Afrique et de barbares violeurs, qui font d’Alleluia un mélange assez atypique.
Mais autrement, on alterne entre phases ennuyeuses et d’autres où ça gueule, si bien que c’est difficile à supporter à la longue.
Une belle déception, après Calvaire.
Après la séance, il y a eu un échange entre le public et Fabrice Du Welz, qui était limite hautain dès qu’une question était formulée de façon vague ou se montrait un peu critique. Nombreux sont ceux qui, d’ailleurs, se sont rétractés en ajoutant un "c’est pas une critique hein, mais…"
Le public applaudissait pour un peu n’importe quoi.
Une femme a déclaré que le film était violent mais beau à la fois, et lui avait donné envie d'être amoureuse. (et moi de tuer des femmes !)
On a eu droit à l’inévitable question "pourquoi avoir filmé en pellicule ?", ce à quoi Du Welz disait n’avoir jamais imaginé faire le film autrement, notamment car le numérique ne permet pas de montrer les imperfections de la peau (oui enfin, là on voyait plutôt les imperfections de la pellicule que celle de la peau). Et quand on a demandé des éclaircissements sur la fin du film, on a eu un très cliché "je ne vais pas interpréter mon propre film, je vous laisse vous faire votre idée".
Merci bien.