La problématique jadis soulevée portait sur le caractère néo-réaliste ou pas du film. Les films néo-réalistes devaient être selon les critiques de gauche un témoignage historique et social. Le cinéma de Rossellini n'en faisait donc pas partie selon eux. Or pour André Bazin la mise en scène de Rossellini (et non le scénario) était tout à fait néo-réaliste.
Effectivement la mise en scène insiste sur le désastre provoqué par le nazisme en Allemagne. Et le film est une plongée dans la misère d'une famille allemande qui se prolonge par l'errance d'un enfant (personnifiant l'Allemagne vaincue) au milieu des ruines de Berlin durant15 minutes. Et ce gamin seul accumule tellement de malheurs que le scénario n'est pas réaliste, c'est plutôt d'une allégorie de l'Allemagne vaincue dont il s'agit, même si prises séparément toutes les séquences sont réalistes.
Une famille très pauvre (l'Allemagne manque de tout après la guerre) est logée chez des propriétaires égoïstes, marchands de sommeil de l'époque (car 14 millions d'Allemands se retrouvent sans abri). Le père de famille est grabataire, le fils aîné se cache de la police à cause de son passé à la Wehrmacht et ne travaille donc pas, la fille est honnête (elle refuse de se prostituer) et pour cette raison ne ramène à la maison que quelques cigarettes (la cigarette fait office d'étalon monétaire à l'époque). Le fils de 12 ans, Edmund, essaie de à lui seul de trouver de quoi nourrir la famille. Mais un destin contraire le poursuit. Voici donc un échantillon de la litanie de malheurs qui vont s'abattre sur lui, qui sont peu ou prou les mêmes que ceux de l'Allemagne de 1946 .
Edmund commence par se faire chasser de son travail qui consistait à creuser des tombes (les usines allemandes sont démantelées et les ouvriers se retouvent au chomage). Il se fait ensuite berner en échangeant une belle balance contre deux boîtes de viande (on l'accuse alors d'avoir gardé l'argent pour lui) et il fait la connaissance d'une bande s'enrichissant par diverses magouilles (le marché noir et les trafics étaient florissants en période de disette). Il se retrouve finalement tout seul comme un paria, exclu de la société, refusant l'aide de sa sœur qui pourtant l'adore afin de se prouver qu'il n'est pas faible, sous l'influence des théories nazies qu'on lui a inculquées.
Mais et là le film devient carrément glauque dans sa volonté de prouver qu'il faut faire table rase de tout le passé la seule personne qui veut aider Edmund, son ancien professeur, est en fait un ancien nazi pédophile jouant les rabatteurs pour son chef, un personnage inquiétant tout vêtu de blanc. Sous l'influence de son discours « Il faut avoir le courage d'éliminer les faibles » Edmund assassinera son père. Contrairement au concept habituel cet enfant n'annonce pas l'espoir en un avenir meilleur mais il est une trace malheureuse du passé condamnée comme lui à disparaître.
Le film ressemble à un préquel de Je suis une Légende. Dans un paysage post-apocalyptique un enfant innocent semble le dernier être humain dans le monde. Il est entouré au mieux par l'indifférence, au pire par la monstruosité. Un arrière-plan de ruines, l'errance muette d'un enfant au premier plan, une fin triste qu'aucune lueur d'espoir ne vient éclairer, jouée au son d'un harmonium funèbre, c'est le genre de film dépressif à ne voir que tard en hiver, sous peine de se plomber toute une journée. La volonté de démontrer à quoi a abouti le nazisme ne justifie pas tout. Rossellini venait de vivre un désastre personnel avant le tournage : la perte de son fils de 9 ans. On comprend mieux l'ambiance du film.