C’est une vieille légende en Argentine, l’Almamula, un mythe folklorique aux multiples formes. La légende, c’est celle d’une femme que l’on dit sans vertu, qui a commis l’inceste avec son frère et son père, avec des femmes et des hommes, et qui ne l’a jamais regretté. En punition pour cette conduite, elle a été maudite par Dieu qui l’a changée en mule avec des chaînes qu’elle traîne et fait glisser dans son sillage. Il est dangereux de la croiser car elle peut tuer n’importe qui sur son chemin d’un coup de pied durant la nuit, ou enlever toutes celles et tous ceux qui se livrent à des péchés charnels, ont des relations sexuelles inconvenantes.
Juan Sebastian Torales a fait sienne cette légende pour dépeindre une sorte de passage de l’enfance à l’adolescence d’un jeune garçon découvrant (et ne sachant pas quoi en faire, comment prendre confiance) son homosexualité. Déployer un récit d’émancipation en butte aux injonctions religieuses, très présentes et toutes-puissantes, et au rejet social (des jeunes de son âge, de sa sœur, de ses parents). Car si tout le monde semble craindre l’Almamula qui rôde dans la forêt alentour, Nino cherche, lui, à se confronter à elle. À comprendre les certitudes (les stigmates même, qu’il arborera soudain) de ses fantasmes (pour un ami de sa sœur, pour un ouvrier du coin qui lui dira que «le péché n’existe pas») que l’on voudrait, sans cesse, retenir, répudier, ramener forcément à une impureté.
Dans la veine d’un Reygadas (Post tenebras lux), d’un Weerasethakul (Oncle Boonmee) ou d’un Escalante (La région sauvage), Torales signe un film étrange revisitant son enfance. Un film à l’atmosphère moite et languissante (et incroyablement sonore) mêlant réalisme cruel et onirisme sensuel où se révèlent les pulsions érotiques de chaque personnage (si ce n’est celui du père, figure emblématiquement absente) à travers les corps qui circulent, mais aussi ces répressions morales, au nom de Dieu, qui ne font qu’attiser les désirs enfouis. Dommage que le rythme stagne dans sa deuxième moitié, et que Torales ne creuse pas assez la partie fantastique (c’est un choix, certes, mais que l’on peut regretter en tant que spectateur) ou même érotique (idem) de son film, et que tous ces symbolismes et ces manifestations suggestives d’une sexualité qui ne demande qu’à s’exprimer finissent par tourner en rond, ne pas vraiment aboutir à une ambivalence forte, et que l’on soit laissé là, in fine, entre troubles vaporeux et grandes frustrations.
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