Quand on a l'impression, après 3 heures de projection, d’avoir passé un quart d’heure dans le canapé, il s’est passé quelque chose. Amadeus, outre son aisance formelle et ses acteurs habités, c’est une leçon de gestion du rythme et une démonstration de l'art du montage au service d'une maestria de chaque instant exploitée pour construire des personnages qui passent leur temps à s’échanger le sceptre du pire salopard ayant existé. En un mot, une référence incontournable qui n’a pas volé sa réputation.
Qu’il est agréable de se laisser surprendre à chaque ramification d’un récit qui n’a pourtant rien de révolutionnaire : on peut même le trouver d’un classicisme presque pantouflard. Et pourtant, Milos Forman compose avec patience une fable musicale d’une puissance extrême. Au moyen d’une plume libre et d’ellipses temporelles au timing irréprochable, il évite les habituels écueils de ce genre d'histoire.
D’une part, aucun personnage ne se fait le vecteur de la bonté, ni celui du malin, tous sont tristement humains, faibles et vaniteux. Certains sont dotés d’un don particulier qui développe leur ambition personnelle, mais finalement aucun d’eux n’est foncièrement bon ou mauvais.
D’autre part, le récit ne s’embourbe aucunement dans des phases d’exposition longuettes qui n’auraient d’autre but que celui de justifier les actes à venir. Chaque moment fort de l’histoire s’impose sans crier gare, chaque bond dans le temps se fait comprendre en douceur, sans carton ni plan de coupe grossier, de quoi s’assurer de marquer l’esprit, et entretenir l’intérêt, d’un spectateur qui ne voit pas le temps passer.
Mais le véritable tour de force d’Amadeus est assurément son point de vue. En dessinant l’image d’un homme —peu importe la véracité du portrait, là n’est pas la question, et personnellement, je ne pourrais moins m’en soucier— à travers les yeux de son alter-ego, mi-groupie, mi-némésis, Milos Forman se permet de garder une certaine distance avec le personnage qu’il construit, et ainsi, de ne pas tomber dans la démonstration sentimentale. L'homme fait certes chanter les violons, mais ce n’est jamais pour solliciter les glandes lacrymales.
En effet, Amadeus est un film assez froid, presque mécanique. Pas un seul personnage n'est rendu suffisamment sympathique pour amorcer un début d’empathie ; quand le sort les malmène, c’est sans nourrir aucune frustration.
Car l’émotion, ici, n’est pas l’œuvre de l’humain. Elle ne naît qu’à travers la vibration acoustique d’une note et l’harmonie qu’elle crée lorsqu’elle invite à la fête toutes ses copines. Toutes les phases d’Opéra font dresser les poils : la star première d’Amadeus, c’est la musique. C’est pourquoi sa plus forte séquence est la collaboration finale entre deux pantins qui ne respirent et ne meurent que pour tenter de capturer l’essence même d’une symphonie. Un final puissant, à la hauteur d’une œuvre dont l’évidence et la fluidité n'ont pas fini de fasciner.