Un film sur la musique classique ?! Et qui a eu du succès… C’est suffisamment rare pour lui consacrer un peu d’attention. Ce film est enthousiasmant pour plusieurs raisons et on oubliera la sagesse un peu académique de la réalisation et les libertés prises avec la vérité historique.
Il s’agit essentiellement d’une réflexion sur la création et sur la grâce, ce que peu de spectateurs ont vu à l’époque où ce film est sorti ( je me souviens de discussions houleuses où j’étais toujours la seule à défendre cet aspect…)
Mozart, représente la grâce. Celle qui relie la créature a une dimension plus haute qu’elle-même ; son art en est la célébration et l’expression.
Salieri, représente l’artisan compétent mais dénué de génie. Il travaille beaucoup, sans jamais atteindre le miracle d’un art abouti. Sa musique se situe dans la démonstration, le divertissement qui plaît aux princes et aux foules. Sa souffrance terrible est cependant d'être suffisamment bon technicien pour pouvoir apprécier à sa juste valeur la musique inspirée et sublime d’un être qu’il méprise.
Mozart, possède une facilité étonnante, il compose vite, debout, comme sous la dictée, sans aucune rature , utilisant parfois sa table de billard pour marquer la mesure, comme dans un jeu . En fait, il transforme naturellement la vie en musique. Il y a de très belles transitions qui passent d’un épisode banal de sa vie à sa retranscription en musique. Par exemple quand il assiste à un discours haineux de sa belle –mère , les paroles de cette dernière se transforment dans la scène suivante en l’air de la terrible reine de la nuit dans son opéra « La flute enchantée ». Son père ,dont il a essayé de s’émanciper , devient le Commandeur vengeur de « Don Giovanni ».
Salieri à l’opposé commet l’erreur d’avoir un rapport utilitaire avec Dieu. Il prie pour changer de vie au son du Amen de Pergolèse et son père meurt comme si Dieu réalisait ses voeux… Il croit servir Dieu et se rend compte que celui-ci a donné la grâce à un jeune écervelé vulgaire qui ne pense qu’à s’amuser . Peut-être même sert-il le mal, et il brule ce crucifix qu’il croyait servir et adorer, pourtant symbole de son abjection.
Nous nous trouvons exactement dans le conflit entre la conception de la grâce efficace des jansénistes et de la grâce suffisante des jésuites. Quoi qu’ il fasse, Salieri ne fera jamais partie des élus, ses efforts besogneux ne lui donneront jamais cette grâce offerte à Mozart.
Le film de Forman a cette profondeur de nous plonger au cœur d’une problématique théologique tout en faisant mine de nous raconter une banale histoire de jalousie.
Le miracle de la création musicale , le miracle de la musique , expression de la voix de Dieu, nous est ainsi montré, obéissant non pas aux dogmes d’une Eglise qui essaie de le contraindre ou d’un pouvoir politique qui le craint, mais possédant une folle liberté , vecteur de libération et de progrès de l’homme , comme avec les « Noces de Figaro ».