"Fous l'camp et mets des housses, Mozart" (Pierre Desproges)
[film vu en version longue]
J'avais abordé Amadeus en pensant voir une biographie de Mozart.
Double erreur.
D'abord, ce film n'est pas un biopic. Il n'en suit pas le déroulement caractéristique, il n'en a pas les particularités narratives (que je ne supporte pas). Son récit elliptique ne nous apprend quasiment rien de la vie du compositeur. Les nombreuses scènes d'opéras montrent bien que l'intérêt du film se trouve sûrement dans son aspect musical.
Ensuite, comme cela a déjà été très bien écrit ici même par Hypérion, entre autres, Amadeus n'est absolument pas fidèle à la biographie de Mozart. Le film est l'adaptation d'une pièce de théâtre de sir Peter Shaffer (qui avait aussi écrit la pièce Equus, adapté par Sydney Lumet), qui en a écrit le scénario. Aucune prétention à une quelconque réalité historique dans l'histoire de ce conflit entre Mozart et Salieri.
Salieri, justement, parlons-en. Au début, j'ai été plutôt décontenancé en me rendant compte que c'était bien lui le personnage principal du film. C'est lui qu'on voit le plus, qu'on entend le plus. Et puisqu'il est le narrateur, nous ne connaîtrons donc la vie de Mozart qu'à travers le regard du compositeur italien.
Ce qui ne veut pas dire que Milos Forman va se conformer aux opinions de Salieri, loin de là. Nous avons bien souvent un double système narratif, Salieri qui raconte sa haine maladive envers Mozart et la caméra, à l'inverse, qui nous montre un génie plutôt sympathique.
Un génie.
Je crois que tout le film tient en ces deux mots.
Car si Amadeus n'est pas une biographie de Mozart, qu'est-ce donc ?
C'est le portrait d'un génie.
Après tout, ce génie aurait très bien pu être Rimbaud, Wagner ou Modigliani, le principe de base du film aurait été le même.
Le sujet est éminemment casse-gueule. Parler du génie artistique sans tomber dans les propos de philosophe de bistrot et en évitant les banalités affligeantes, c'est pas fréquent.
Le propos est simple : le génie est méconnu et inadapté à la vie sociale de son temps. Mozart ne comprend rien aux enjeux politiques, sociaux, moraux qui peuvent l'entourer. Il ne vit même pas dans le même monde que ses contemporains.
Revoyons la scène où Mozart est convoqué par l'empereur au sujet des Noces de Figaro. Le politicien avait interdit la pièce de Beaumarchais, jugée socialement dangereuse ; il ne peut pas autoriser Mozart à en faire un opéra. Mais le compositeur se défend. Et quand l'un parle politique, l'autre, avec fougue, répond musique. Dialogue de sourds, puisqu'ils n'abordent pas le même sujet. Mais surtout marque de la rupture de Mozart avec son temps.
L'opposition entre Mozart et Salieri est une autre représentation du génie du compositeur. L'opposition Mozart/Salieri, c'est l'opposition entre innovation et conformisme, entre audace et frilosité, entre génie et artisanat. La scène, à la fin, où Salieri travaille avec Mozart sur le Requiem montre bien que les deux hommes ne vivent pas sur la même planète (certains ont d'ailleurs reproché au film de donner une image trop négative de Salieri, qui est loin d'être aussi médiocre que cela ; mais n'oublions pas qu'il n'y a aucune réalité historique derrière cela, et écoutons tous du Salieri).
Pour tenter de comprendre le génie, il faut le montrer au travail. Là où Salieri s'échine à composer sur son clavecin, normalement, Mozart semble avoir tout un opéra dans sa tête, orchestre compris.
Il est intéressant de voir aussi comment Mozart prend la réalité qui l'entoure, sa vie privée en particulier, pour la transformer en œuvre d'art. Son père, transformé en spectre dans Don Giovanni. Sa belle-mère éructant métamorphosée en Reine de la Nuit.
Quand on connaît un peu la filmographie de Milos Forman, on comprend pourquoi ce sujet a pu tant lui plaire. Le cinéaste d'origine tchèque filme sans cesse des personnages libres, affranchis des règles sociales de leur temps. Les hippies qui choquent les bonnes moeurs dans Hair, Randle McMurphy obligé d'être lobotomisé pour le faire rentrer dans le rang ou Andy Kaufman dans Man on the Moon, Forman filme des personnages qui n'obéissent pas aux lois sociales et qui, par conséquent, choquent, sont exclus ou éliminés. Car toute société est forcément normative et n'accepte pas en son sein des gens qui contournent ses règles.
C'est sûrement cela qui a tant plu à Forman dans la pièce de Shaffer. Car si le film insiste sur la haine de Salieri, il faut bien reconnaître que beaucoup de gens, dans l'entourage de l'empereur, s'opposent à Mozart.
Après, ce n'est pas, à mon avis, le meilleur film de Forman. Amadeus (director's cut, je n'ai pas vu la version courte) souffre d'un manque de rythme, surtout au démarrage. Le bavardage de Salieri est trop envahissant et les retours vers le présent (et l'asile) cassent souvent le rythme sans apporter quelque chose de convaincant.
Heureusement, plus on avance, mieux c'est, et la dernière heure est vraiment bonne. Et puis, le travail de reconstitution de l'époque est absolument magnifique.
En général, je dirais que c'est un bon film, mais pas un chef d’œuvre.
[et puis, parmi les qualités du film, il faut citer la présence, dans la scène d'ouverture, de Vincent Schiavelli, et tout film qui s'enorgueillit de la présence de cet acteur formidable est forcément un bon film]