Kazan, plus libre dans son travail dont il est le principal producteur, tourne ce film fleuve, de près de 3h, avec ses longueurs largement évitables (principalement au début, mais pas seulement), dans lequel il raconte entre détails biographiques réels et aventures romancées le destin de l’oncle – et par extension le sien et celui de bien des migrants.
Le but n'est pas le but, c'est la voie. C’est ce que dit Kazan à travers ce film au titre trompeur : de l’Amérique on ne verra que le quai où débarquent les immigrés fraîchement arrivés lors de la scène finale - sorte de mirage qu’on nous fait miroiter, comme essaie d’expliquer en vain l’un des amis de Stavros lors de sa halte à Constantinople : l’Amérique comme il la conçoit n’est qu’un idéal, un eldorado qui peut broyer les hommes avant de les rejeter cruellement.
Or la cruauté est omniprésente, même dans sa Turquie natale : dès les premiers plans, Stavros est confronté à l’infamie, à la corruption, à l’abus de pouvoir puis à la haine de l’Autre, à la folie barbare du génocide ; ensuite, hors du giron familial, il est victime de tromperies et de vols, découvre malgré lui les vices et les duperies du monde d’ici-bas. La seule solution pour lui est de collaborer, d’accepter le système comme tel, de l’épouser pour mieux le tromper : tel est son premier enseignement, qui suivra le cinéaste jusqu’à ses heures les plus sombres, politiquement parlant.
À travers un récit au rythme inégal, entre foisonnement d’actions et piétinements, parsemé de ci de là de somptueux gros plans lumineux magnifiés par le noir et blanc, Kazan dresse, plus que celui de son oncle, le portrait du migrant à travers un périple semé d’embûches mais mû par une foi inébranlable en un ailleurs fantasmé.