American Beauty, c’est un peu comme ces produits « tout en un » qu’on nous vend à la télé. Alors que les comédies satiriques, les thrillers pleins d’autodérision, ou les drames romantiques sont des genres bien connus sur grand écran, lesquels répondent à des codes qui leur sont propres, il est rare d’assister à un mélange plus élaboré entre les genres. C’est pourtant la réussite d’American Beauty : ici, les deux heures que durent le film – et qui passent vite, très vite, même à l’énième visionnage – sont un cocktail savamment dosé de comédie, de drame, de satire, de suspens et même, luxe suprême, de poésie.
Si la comédie reste l’ADN de son œuvre, Mendes a fait de l’humour grand public, qui n’atteint donc pas des sommets de subtilité, mais qu’il répartit avec suffisamment d’intelligence pour que l’ensemble n’en soit jamais plombé.
Le drame s’intercale entre les scènes d’humour, voire les pénètre. On pense ici à cette scène du garage – qui vaudra sa mort à Lester – où le voisin, homophobe notoire, lui révèle maladroitement son homosexualité, ayant mal interprété ses déclarations sur l’état de sa vie conjugale. On rit du quiproquo, sans que la scène perde en intensité dramatique ; c’est en soi une petite prouesse.
La satire, elle, demeure en filigrane tout au long du film. Partant, certains y verront la justification du film en son entier. A mon avis, il n’y a pas de raison de surestimer cet aspect au détriment des autres. Certes il a toujours, à tout instant, cette critique de la famille américaine aisée en général, et des personnages archétypiques qui la composent individuellement (l’adolescente en perte de repères, la mère étriquée dans la routine de sa vie en apparence parfaite…). Certes il y a, au final, cette morale qui peut déplaire par son consensualisme. Mais de deux choses l’une : d’abord, quant à l’importance de cet aspect, je ne pense pas qu’il faille en faire l’alpha et l’oméga d’American Beauty. C’est un film drôle, grave, critique et poétique à la fois ; ce n’est pas qu’un film critique. Ensuite, quant à la qualité de la critique, là encore, malgré son apparent consensualisme, elle vaut mieux qu’il n’y paraît. La raison est que Mendes a su l’élever à un niveau poétique certain : les dernières minutes du film, où Lester réalise qu’il avait sous les yeux ce qu’il cherchait en vain ailleurs, ne sont pas seulement moralisatrices, elles sont d’une poésie qu’il est donné à chacun d’apprécier.
Quant au suspens, il s’agit certainement de l’aspect le moins développé du film, sans pour autant qu’il en constitue une faiblesse. En réalité, Mendes l’amorce dès le début par ce procédé bien connu, déjà observé dans un chef-d’œuvre tel que Sunset Boulevard, consistant à prendre pour héros et narrateur un homme mort. Par là, on introduit d’emblée une, voire plusieurs inconnues : quid des raisons et des circonstances de cette mort ? Mendes va cependant plus loin dans American Beauty que Wilder dans Sunset Boulevard : alors que, dans ce second cas, on devine rapidement par qui la tragédie doit arriver, ici, le réalisateur prend soin de multiplier les suspects en donnant un mobile à plusieurs personnages : à Ricky, d’abord, qui va jusqu’à proposer sérieusement à sa copine de tuer son père, par amour ou par fascination morbide ; à la femme de Lester, ensuite, désespérée après que son amant l’a quitté par la faute de son mari ; au voisin, enfin, militaire refoulant son homosexualité, alors que Lester est devenu malgré lui le seul homme au courant de ses penchants. Tout cela contribue, l’air de rien, à instiller un supplément de suspens dans une œuvre déjà bien riche.
Il vient que Mendes réalise un film dense, varié dans les plaisirs, et réussit par son humilité, là où tant d’autres ont échoué en voulant faire un « film total », synthèse de tout ce qui est grand, de tout ce qui est beau. Ici, tout n’est pas toujours grand ni beau, mais tout y est, en deux heures de temps. Histoire de rappeler qu’en 1999, Mendes anticipait déjà les évolutions de la gamme Skip, et sortait quelque chose de plus petit, mais plus puissant…