Dans son entreprise de déconstruction temporelle, Has triomphe d’un bout à l’autre. Ici, les époques sont confondues et les souvenirs revivent. Pour autant, le film inspiré des nouvelles de Bruno Schulz n’a rien d’un discours scientifique sur la relativité du temps. Il ne propose, pas plus, d’histoire fragmentée dont la logique serait à reconstituer à partir des pièces enchevêtrées du temps passé et présent. A défaut de rationalité apparente, la Clepsydre suit donc le modèle du rêve : ni unité d’action – une intrigue est née sitôt qu’elle est morte par le suspens ou l’oubli – ni unité de lieu – la porte du sanatorium ouvrant en définitive sur une pluralité d’espaces – ni, bien sûr, unité de temps – l’aléa temporel étant total, puisque fonction du désordre des réminiscences de Joseph ; ainsi le père, figure récurrente, vieux quoique sans âge, apparaît tantôt fringant comme en sa jeunesse, ripaillant, entouré de femmes, tantôt sénile, alité, mourant ou déjà mort peut-être.

Au total, la prouesse narrative est double : d’abord, parce que Has n’a pas réalisé d’œuvre incohérente. L’écueil était prégnant de retranscrire le rêve, produit du souvenir, par une succession de non-sens. Ici, les intrigues, multiples et succinctes, quoiqu’impossibles à saisir en leur entièreté, sous-entendent une logique qui leur est propre, que maîtrisent les protagonistes même s’ils n’en révèlent jamais les tenants et les aboutissants. Joseph lui-même, auteur du rêve, n’est jamais sous le coup de la surprise ; il semble toujours au fait des situations, allant même jusqu’à résoudre une énigme familiale dont la grande complexité nous exclut, nous spectateur. A ce titre, le jeu de Jan Nowicki est d’une subtilité incroyable, puisqu’il lui a fallu surmonter sa propre incompréhension des événements, sous-explicités et hors contexte, pour délivrer à son personnage l’apparence de la neutralité, en lui ôtant toute expression propre à l’étonnement, ainsi qu’à la peur ou la frayeur qui lui sont liées.

Dans le même temps, la prouesse narrative réside dans ce que l’œuvre de Has n’est pas totalement cohérente. La seconde tentation aurait été de mettre le rêve au service d’une intrigue qui le transcende et qui en constitue la justification. Si le réalisateur y avait cédé, l’onirisme de la Clepsydre aurait été dissous dans la logique de l’interprétation. En guise de contre-exemple, on peut penser à la Maison du docteur Edwardes où le rêve du héros, illustré par Dali, fait l’objet d’une analyse scientifique qui déclenche la résolution de l’enquête.

La réussite de la Clepsydre, ce qui en fait une œuvre unique, c’est qu’elle est la retranscription d’un rêve, et par extension, du rêve. Le rêve n’est ni parfaitement saisissable par l’esprit éveillé, ni dénué de logique : il obéit à ses propres règles temporelles, spatiales et narratives. Il obéit à cette infinie poésie, qui ne réclame aucune interprétation, qui en est l’essence et la structure.
ento
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le 4 juin 2013

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