Suburbia.
Premier long-métrage de Sam Mendes, "American beauty" permet au cinéma hollywoodien de retrouver la verve qui était la sienne dans les années 70, empruntant au cinéma indépendant sa liberté de ton et...
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le 20 oct. 2013
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J'ai revu récemment ce film qui m'avait énormément marqué lorsque je l'ai vu pour la première fois, sur le conseil d'un ami. Le premier long métrage de Sam Mendes est un véritable chef-d'oeuvre qui n'a pas pris une ride depuis 1999 et qui nous dépeint une fresque réaliste du drame de la condition humaine. Tout commence sur le ton de la confession intime lors de l'ouverture d'American Beauty lorsque le personnage principal, Lester, se présente à nous ainsi que son environnement et les membres de sa famille. Le seul plaisir de cet homme consiste à se masturber sous la douche chaque matin! Autant dire que sa vie n'est pas enthousiasmante et que la crise de la quarantaine rime parfaitement pour lui avec ennui, banalité et déception. Il ne parle plus à sa fille, Jane, adolescente typique et ses rapports avec sa femme, Carolyn, sont devenus d'une formalité à en mourir. Le dîner familial est une épreuve renouvelée chaque jour sur fond de "musique d'ascenseur" choisie par la maîtresse de maison pour alléger le supplice bien connu de personnes devant manger ensemble parce qu'elles constituent une "famille" mais qui n'ont plus rien à se dire depuis trop longtemps déjà. Une illustration classique de l'effet délétère du temps sur les projets humains, dont l'amour et la famille. Ce temps qui, en s'écoulant, menace de tout ensevelir sous la chape d'une routine mortifère. On nous prévient dès le début que Lester vit les derniers jours de sa vie et qu'il va mourir... Le suspense étant: comment et de la main de qui? Mais dès le début Lester se présente à nous comme un mort-vivant, il vit, mais il est déjà bel et bien mort. Qui va donc pouvoir le ressusciter? Le déclencheur sera une copine de sa fille, Angela, qui, lors d'une chorégraphie scolaire, donne l'électrochoc nécessaire à Lester pour qu'il se réveille et change de vie, c'est l'électrochoc de la beauté féminine, du charme et de la sensualité. Dans l'entreprise où il travaille depuis 14 ans, un jeune blanc-bec est nommé par la direction pour licencier (au passage fine critique d'un système économique devenu inhumain et dans lequel les salariés sont considérés comme jetables pour maximiser les profits... C'était en 1999, et c'est d'actualité avec la Loi "Travail...). Au lieu de subir un éventuel licenciement, Lester le provoque et se libère de son job avec un joli pactole... pour bosser dans un fast food. Et là il redécouvre progressivement le goût et la joie de vivre: sport, musculation, nouvelle voiture, musique... Comme s'il rajeunissait de 20 ans. Par exemple à travers la pratique du sport et de la musculation (au départ dans le but de charmer Angela), c'est l'estime de soi-même que Lester réacquiert. Sa femme, Carolyn, qui ne s'intéresse qu'à sa carrière dans l'immobilier et à ses rosiers, perçoit avec effroi que son mari est en train de changer. Lui s'éloigne du pouvoir de l'Argent pour vivre tandis qu'elle ne vit que pour sa carrière et le fric. Lors d'une soirée mondaine au cours de laquelle Carolyn essaie de se placer auprès d'un riche agent immobilier (avec lequel elle va tromper son mari), Lester est interpellé par un jeune serveur, Ricky qui se trouve être leur voisin. Celui-ci lui propose de fumer quelques joints à l'extérieur (par amitié ou par sens commercial? car il est dealer...). Ce qui a pour conséquence de transformer Lester en client régulier de Ricky (c'est important pour le quiproquo qui sera à l'origine du dénouement dramatique du film). Ricky est l'un des personnages les plus attachants du film. Fils d'un militaire à la retraite qui collectionne les armes et les objets nazis et d'une mère complètement absente et effacée, c'est un original, décrié par la belle Angela, la copine de Jane (qui le ridiculise parce qu'il s'habille comme un mormon). Persécuté et violenté par son père parce qu'il fumait de l'herbe, Ricky, très intelligent et fin, arrive à cacher son activité de dealer et répond à la brutalité de son père par une soumission feinte et va dans le sens de son homophobie lorsque c'est nécessaire. Il est surtout un grand poète, fasciné par la beauté de ce monde, ce monde qu'il ne cesse de filmer avec sa caméra: que ce soit un oiseau mort, une SDF morte dans la rue, un sac en plastique dansant dans le vent, ou bien Jane qu'il espionne en tant que voisin. C'est un contemplatif qui est blessé par le regard qu'il porte sur la beauté présente dans les choses les plus "banales", c'est un jeune homme qui pressent l'existence d'une Présence aimante au-delà du visible, Présence qu'il ne nomme jamais Dieu mais qui s'en rapproche. C'est un spirituel. Et c'est de lui que Jane, mal dans sa peau, va tomber amoureuse. Dans la chambre de Ricky ils vont se contempler nus et se filmer, mais leur relation semble être chaste, cette chasteté exprimant le grand respect qu'ils ont l'un pour l'autre. Autour de la résurrection de Lester, un aspect très intéressant du scénario se trouve dans le jeu des apparences. Quelle distance entre l'image que l'on veut donner de soi et la réalité cachée et intérieure, souvent refoulée, justement pour pouvoir donner de soi une image que l'on estime plus satisfaisante. Le père de Ricky et Angela, l'amie de Jane, illustrent parfaitement ce phénomène. Le militaire homophobe et rigide... cache une blessure personnelle... La belle Angela qui ne cesse de raconter ses aventures sexuelles à Jane n'est pas en fait celle que l'on croit... Ce qui nous rappelle une parole des évangiles nous interdisant de juger autrui. Les apparences sont souvent trompeuses et lorsque nous jugeons nous sommes la plupart du temps à côté de la plaque parce que nous ignorons le drame intime qui se joue dans les cœurs ainsi que l'histoire personnelle de chacun. En tant que spectateurs nous cataloguons facilement Angela comme une fille facile et superficielle qui ne rêve que de devenir mannequin et qui est prête pour cela à se prostituer... Nous nous fions à ses paroles...à son apparence pulpeuse et aguichante... Nous cataloguons aussi le père de Ricky comme une caricature du militaire le plus borné et brutal qui soit... mais nous ne savons pas que cette apparence macho et psychorigide est en fait une carapace protectrice pour ne pas céder, et encore moins révéler, sa nature profonde... Autre détail à signaler, lorsque Lester "ressuscite", il prend en partie pour modèle un couple de jeunes gays, qui sont ses voisins. Ces deux hommes, ravissants, sportifs et menant une vie saine, semble être les seuls dans cette histoire à être épanouis et heureux, épargnés par la grisaille de la vie. Angela, la belle jeune fille, n'a qu'une crainte: de paraître banale. En fait American Beauty nous parle de la banalité de la vie, une fois que le temps a détruit toute nos illusions et rêves de jeunesse, une fois qu'il a pompé en nous la sève de la vraie vie pour nous transformer en zombies vivants dans la résignation douloureuse (Lester), dans une folle poursuite de la réussite professionnelle (Carolyn) ou encore dans un passé idéalisé (le militaire, père de Ricky). Ricky, le poète, nous enseigne que rien n'est banal et que tout est beauté. C'est nous qui sommes banals par le regard mort que nous portons sur les choses. Ricky même lorsqu’il voit un oiseau mort est capable d'y déceler de la beauté parce que sa manière de contempler les choses n'est justement jamais banale. Cette comédie dramatique nous interroge sur un grand thème de la réflexion philosophique, un thème éternel, celui du sens de la vie. Et l'on peut penser que même si Lester meurt brutalement à la fin, mieux vaut pour lui mourir après avoir connu cette résurrection, que continuer à vivre des années durant dans le mensonge d'une vie vidée de sa substance...? Un rapprochement peut être effectué entre le personnage de Lester et sa situation familiale avec Jean-Marc Leblanc, le personnage principal du film de Denys Arcand L'âge des ténèbres (2007). Juste avant sa mort, Lester parvient à son rêve: Angela est prête à se donner à lui! Cette scène est magnifique, car lorsque Lester découvre la vérité, il ne peut que respecter Angela et ne va donc pas au-delà d'une relation chaste avec elle (ça me rappelle la scène de Will Hunting dans laquelle Chris refuse de coucher avec la jeune hippie dans la caravane). Un autre thème de discussion à partir de ce film pourrait être le suivant: notre "équilibre" psychique, affectif et existentiel ne tient souvent qu'à un fil! Autant dire que notre zone de sécurité est fragile et qu'elle est sans cesse menacée par l'irruption du nouveau et de l'imprévu dans nos vies. Il y a en certains qui refusent, par peur du changement, ces interpellations de la vie, et d'autres, au contraire, comme Lester, qui les saisissent à bras le corps, les comprenant comme une chance.
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Créée
le 30 juin 2016
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( A écouter en lisant la critique : https://www.youtube.com/watch?v=al21Vtlsg4A ) Après avoir terminé American Beauty, une vague de sérénité et d’apaisement me submerge, je ne ressens finalement...
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