Sorti en 1971 THX 1138, le premier film de George Lucas était un film d’anticipation inquiet. Son film suivant, American Graffiti ne devait être qu’un petit projet, une gourmandise pour rassurer les studios. Mais il en dit beaucoup sur la personnalité du créateur, en allant cette fois dans le passé. Une époque plus simple que George Lucas a bien connu et qu’il voulait restituer le plus fidèlement possible.


Il y a une certaine mélancolie dans ce film, qui présente une bande d’amis dont deux ont fini leurs études et vont poursuivre à l’université leur parcours, et deux autres qui doivent rester dans la ville de Modesto. C’est leur dernière nuit ensemble, mais chacun suit un chemin différent, avant de se retrouver pour déterminer leur sort.


Curt est un de ceux qui ont été acceptés à l’université, il a même obtenu une bourse. Mais il ne sait pas vraiment s’il doit sauter le pas. Il part en quête d’une mystérieuse blonde au volant, et rencontrera aussi un gang de loubards, les Pharaons. Steve aussi doit partir, mais il sort avec Laurie. C’est le bon exemple, un élève studieux et populaire, mais son couple le retient à Modesto. Terry dit «the Toad » en VO est le copain moche mais sympa. Steve lui confie sa belle voiture avant de partir, et Terry en profitera pour s’inventer une vie moins ingrate. John est la petite brute du coin, mais aussi un bon ami pour qui le mérite et un pilote hors pair au volant de sa voiture customisée. Mais il sent qu’une page se tourne, il est lassé de sa réputation. Il se retrouve avec Carol, une jeune adolescente, qu’il va accepter malgré leurs caractères bien différents.


Chaque personnage semble si plausible, qu’on peut imaginer qu’untel aurait pu être le héros de son propre film. C’est particulièrement vrai pour John, qui est un personnage aux nuances assez fines, dont la virilité doit masquer la mélancolie rappelle évidemment James Dean. Il est interprété par Paul Le Mat, incroyable dans ce rôle. Mais la plupart des autres acteurs, de jeunes premiers, ont été bien choisis, à l’image de Ron Howard, Richard Dreyfus, Cindy Williams ou Mackenzie Phillips. Tous leurs rôles partagent la même inquiétude, ce que cela implique de grandir : rester sur place ou découvrir le monde, quitter ses amis et ses amours pour de nouvelles relations, ou apprendre à s’accepter plutôt que de continuer à se mentir. Le film présente ces adolescents comme face à leurs propres choix, leurs parents étant absents du récit.


Les interrogations du film sont celles aussi d’un regard posé sur le passé. Pour George Lucas, ces années sont des années heureuses, qui n’ont pas encore connu la guerre du Vietnam, la mort de Kennedy et la contre-culture. C’est en voyant ce qui constituait son passé disparaître que George Lucas a voulu faire ce film, pour le faire revivre, presque comme un documentaire.


La représentation se veut donc le plus fidèle, avec des lieux totémiques de ces années tels qu’un bal, une salle de flippers ou un restaurant diner. Mais le plus important selon George Lucas, était de montrer la sociabilisation de cette époque, la drague aussi et l’importance de l’automobile, omniprésente. C’est le temps des belles cylindrées. Le film est parsemé de conversations entre les occupants de voiture, pour draguer, demander des nouvelles ou fanfaronner. La Sécurité routière désapprouverait ce film. American Graffiti utilise la superficialité adolescente de ces époques, la drague et les belles voitures, mais pour montrer une manière de sociabiliser qui n’existait déjà plus à l’époque du tournage.


Dans son évocation du temps passé, il était important que son film reflète la bande-son de cette époque, un son qu’il regrette. Il y a le personnage un peu fantasmé de l’animateur radio Wolfman, qui a vraiment existé. Mais aussi une large série de musiques des premiers temps du rock que George Lucas a utilisé pour faire coller son montage à leurs rythmes. Pour lui, le film était d’ailleurs un musical. Personne ne danserait, personne ne chanterait, mais la musique serait omniprésente. L’achat des licences musicales a représenté plus de 10 % du budget, mais quel plaisir d’écouter Bill Haley & The Comets, The Beach Boys, Buddy Holly, Chuck Berry, The Platters et d’autres artistes moins connus. Cela semble assez commun de nos jours de proposer ces artistes pour des films de cette époque, et le film a probablement contribué à forger leurs légendes, mais à l’époque, c’était assez nouveau de piocher dans le passé pour en faire un paysage sonore aussi omniprésent mais crédible.


Alors que le film s’approche de ses 50 ans, il ne semble pas ou peu avoir vieilli. On peut lui reprocher certaines longueurs, et peut-être certains personnages qui ne peuvent pas briller autant que d’autres, mais le tout se tient. Il ne s’agit pas que d’un hommage, d’un film nostalgique et passéiste. Cette reconstitution est fidèle et entérine l’image un peu trop belle d’une époque heureuse, comme le proposeront la série Happy Days ou le film Grease. Mais ce cadre doux cache aussi une certaine dureté, avec sa part de noirceur. La mélancolie de ses personnages reste d’actualité. Le regard sur l’adolescence a gardé sa part d’authenticité malgré les années passées.


Le film fut un énorme succès, connaîtra une suite en 1979 mais sans Lucas. C’est l’un des films les plus rentables du cinéma américain, ayant été produit avec un budget limité. Mais c’est aussi son contexte qui est important, George Lucas avec American Graffiti puis Star Wars initie une vague de succès populaires, confortée par ceux de Steven Spielberg. Ces films plus populaires vont progressivement mettre à mal l’emprise du Nouvel Hollywood, qui se voulait plus auteurisant. Et cela a été reproché à George Lucas. Mais ses films étaient ceux qu’il voulait faire, il s’est battu pour qu’ils correspondent à sa vision. Leurs succès démontrent que ce n’était pas la faute de George Lucas ou de Steven Spielberg, mais bien de celle du public, qui voulait retrouver une légèreté apaisante et un spectacle divertissant.

SimplySmackkk
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le 8 mai 2020

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