"Chérie française", ça sonne moins bien.

American Honey, road-trip crasseux et ensorcelant à travers une Amérique éclectique, retranscrit même la laideur avec poésie.


On en sort un peu chancelant, avec le sentiment d’avoir vécu un périple de plusieurs semaines en moins de trois heures, et d’en garder quelques grains de liberté au creux de la main. Le quotidien de Star (Sasha Lane) débute pourtant dans un taudis miteux déserté par une mère irresponsable. Chaque jour se subit, entre les assauts répugnants de l’ivrogne qu’on devine être son beau-père, et la récupération d’aliments périmés dans des bennes pour remplir un réfrigérateur insalubre, probablement parce qu’elle ne connaît rien d’autre et n’imagine pas qu’une autre vie est possible. C’est sa rencontre fortuite avec Jake (Shia LaBeouf) et une bande de jeunes dysfonctionnelle qui la décide à tout plaquer et rejoindre leur van surpeuplé pour partir vendre des magazines à travers le Midwest.


Est-ce parce qu’elle est britannique qu’Andrea Arnold a su saisir le paysage américain avec un réalisme aussi cruel qu’émerveillé ? Peu connue du grand public, la réalisatrice de Fish Tank remporte discrètement son troisième Prix du Jury à Cannes. Puisant dans sa propre expérience aux États-Unis et recrutant une partie des équipes sur place au fur et à mesure du tournage, elle insuffle à son film la fraîcheur d’un regard sans jugement ni parti-pris. Ces jeunes errent entre l’illusion d’une liberté absolue sur fond d’amours éphémères et de rap provoc hurlé à pleins poumons, et les règles strictes imposées au groupe par sa meneuse Krystal, pour qui seul l’argent fait loi. Une impitoyable loi du plus débrouillard que Star relègue au second plan. Elle reste subjuguée par Jake, le beau parleur brillamment campé par Shia LaBeouf qu’on n’a jamais vu aussi charmeur.


La caméra d’Andrea Arnold capture sur le vif la fureur de vivre de cette jeunesse white trash qui n’a plus grand-chose à perdre et trouve sa catharsis dans un mode de vie nomade, se recréant un simulacre de famille pour remplacer, peut-être, celle qui l’a abandonnée. Grâce aux plans resserrés en format carré, nous sommes au plus près de leur vécu, du poulet industriel suintant sorti d’une benne qu’on espère ne jamais voir consommé, à l’habitacle moite du van qui est au final leur seul véritable point d’ancrage.


Aux côtés de Star, nous apprenons à connaître sa nouvelle famille, ressentons avec elle les appréhensions et jalousies vis-à-vis de Jake qui ne se dévoile jamais vraiment. Pour se faire accepter et remplir ses objectifs de vente dans un monde où les magazines deviennent obsolètes, elle joue de son pouvoir sur les hommes, se met régulièrement en danger et frôle le drame… à travers les yeux de Star, Andrea Arnold nous confronte à une Amérique singulière, dont il est rarement question. Une majorité silencieuse qui ne vit généralement que dans son propre écosystème, un Midwest qui s’attire rarement les grâces d’une caméra et qui envoûte étrangement. La moindre rencontre, toujours imprévue, parfois malsaine ou inquiétante, révèle au final sa part de poésie et entretient l’envie de continuer l’aventure malgré ses risques. Penser au futur ? Pour quoi faire.

Filmosaure
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le 22 janv. 2017

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