Lorsqu’on pense à la lie du cinéma d’exploitation on pense le plus souvent aux singes nazis ou aux vampires ninjas blacks, mais en fait il y a bien pire, le « rape and revenge », qui a connu ses heures de gloire pendant les années 70 (I Spit on Your Grave en 78 et La dernière maison sur la gauche en 72), époque où il y avait un vide dans l’horreur et où les réalisateurs avaient tout à inventer. Le viol semblait évident, étant donné que c’est l’un des pires actes que l’on puisse commettre envers une personne. Le schéma était toujours calqué à l’identique, scène de viol insoutenable puis vengeance où les tortures l’étaient tout autant. Depuis quelques années le genre est revenu sur le devant de la scène, ce qui est plutôt inquiétant car la vacuité de ce cinéma n’a d’égal que sa violence gratuite et sans intérêts. Il faut dire que jusqu’ici seuls des hommes s’étaient penchés sur la question, prenant au pied de la lettre la loi du Talion et évidemment sans considérations quant au développement du personnage et sa psychologie, étant eux-mêmes incapables de comprendre ce qu’est le viol féminin, ni même ce qui peut passer dans la tête d’une femme lorsqu’elle pense à se venger. Le duo de réalisatrices jumelles Jen Soska et Sylvia Soska sont enfin là pour remédier au problème et donner un sens à l’existence de ce genre, avec en tête d’affiche Katharine Isabelle, qui est LA femme forte par excellence du milieu de l’horreur, et taillée pour le rôle telle une évidence, que sa soit par la qualité de ses prestations ainsi que pour son physique de rêve, indispensable pour jouer ce personnage sexy et vénéneux (la précédente actrice de cette pointure était Jamie Lee Curtis).
Ce qui frappe assez vite c’est la recherche visuelle et artistique, rien n’est laissé au hasard et est fait pour sublimer. On abandonne l’imagerie crados habituelle, car tous les viols ne se font pas dans les bois et dans la merde, non, ici ça se passe dans le milieu des médecins plein de fric qui invitent leurs étudiantes, les droguent, et ensuite filment ce qu’ils font avec. Contrairement à ce que l’on voit d’habitude, la scène de viol est à moitié floue, presque hors champs, et assez courte, de quoi déconcerter les cerveaux malades. En revanche on comprend vite que les soeurs Soska ont une histoire à raconter, un point de vue à donner, d’où cette préférence pour la psychologie et non la violence graphique, en bonnes élèves de maitres comme Brian De Palma. D’ailleurs, encore plus frustrant pour les amateurs de rape and revenge habituels, pas de longue scène de torture du coupable ! C’est vous dire à quel point les codes sont changés, et même réinventés par ce duo qui se l’approprie. Une raison importante de ce succès est aussi dû à l’absence de position des réalisatrices, car contrairement aux réalisateurs qui mettaient en avant que « c’était la chose à faire » (se venger en tuant un par un les coupables), elles gardent à l’esprit que c’est hors la loi et qu’il y a d’autres façons de faire. Leur métrage serait d’ailleurs même une mise en garde contre les monstres que peut créer la société. Qui a dit que les féministes ne pouvaient rien apporter au cinéma d’horreur ? Car il est indéniable qu’il avait besoin de nouveaux points de vue, et ce sang neuf est comme une bouffé d’oxygène. Et n’allez pas non plus croire que l’oeuvre est misandre, car aussi dérangée que soit l’héroïne la vision des hommes qui l’entourent par la suite est bien différente, eux, la protégeant et la suivant partout comme de fidèles minions (il est d’ailleurs intéressant de noter que les mauvais sont ici des toubibs de renommée et les mauvais garçons des gars qui ont un minimum d’honneur, et qui plus est l’étudiante a du mal à joindre les deux bouts, révélant une réelle détresse économique/éducative aux Etats-Unis).
Que les accrocs à l’horreur qui tache ne se découragent néanmoins pas ! Il y a des trucs bien dégueux et sanglants, et bien que le violeur ne se fasse pas couper la bite pendant une scène en close-up de dix minutes on voit cependant le résultat, dont l’apparition inattendue pourra donner une incontrôlable envie de gerbe à certains. Qui plus est la majeure partie du film se passe dans le milieu des modifications corporelles, vous aurez donc un vaste panel de curieux personnages à découvrir, et l’on appréciera encore une fois l’absence de prise de position des réalisatrices quant à ces chirurgies.
American Mary est déjà culte. Scénario impeccable, une Katharine Isabelle au mieux de sa forme, une esthétique sublime et une mise en scène intelligente, autant d’atouts qui font du métrage une bobine novatrice, entre le rape and revenge et le gallio, tout en allant beaucoup plus loin.
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le 29 déc. 2014

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