Spielberg devait initialement tourner cet American Sniper, mais le budget modeste imposé par la Warner (60 millions de dollars) l’a convaincu de décliner. C’est finalement ce bon vieux Clint qui a récupéré le projet. Le réalisateur de 84 ans sort donc son deuxième long métrage de 2014, seulement six mois après Jersey Boys. Pour un résultat mitigé.
Le film adapte la biographie du Navy Seal Chris Kyle, « le tireur d’élite le plus létal de l’histoire des États-Unis » avec 255 mises à mort créditées en Irak entre 1999 et 2009, dont 160 confirmées par le département de la Défense. Badass. On est loin des 505 « kills » officiels du Finlandais Simo Häyhä pendant la Seconde Guerre mondiale mais quand même, joli score. Hollywood a flairé le bon filon – le bouquin est un gros best-seller aux States – et décidé de lancer en 2012 une adaptation sur grand écran. Entre temps, Chris Kyle est brutalement décédé, ce qui confère au film une aura particulière.
L’une des affiches américaines faisait attendre le pire : la bannière étoilée battue par le vent et, en dessous, Bradley Cooper en uniforme sur le point d’être embrassé par sa femme (Sienna Miller). En gros, ça flairait le patriotisme bon marché tartiné de valeurs familiales dégoulinantes. À l’arrivée, si l’intuition n’était pas totalement infondée, le résultat n’est pas si horripilant qu’on aurait pu le penser. Alors oui, Chris Kyle est clairement présenté comme un héros courageux prêt à tout pour défendre son pays, allant même jusqu’à quitter sa planque de sniper pour accompagner ses camarades dans de dangereuses opérations de porte à porte. Pour autant, Clint fait preuve d’une certaine pudeur dans sa mise en scène, évitant les musiques ronflantes et limitant les « séquences émotion » en famille (Miller pleure un peu, quand même).
Cette appréciable pudeur s’avère cependant à double tranchant, puisqu’elle se retrouve dans la façon de présenter le personnage de Chris Kyle, hanté par l’horreur de la guerre et par « tous les gars qu’il n’a pas pu sauver ». Problématique cruciale de film, le syndrome de stress post-traumatique dont souffre Kyle est illustré par quelques scènes fortes mais s’avère finalement survolé. Avachi devant une télévision éteinte, un Bradley Cooper bouffi et difficilement reconnaissable (il a pris 20 kilos de muscle) interprète avec talent le soldat-type qui n’arrive pas se réacclimater à la vie civile. Certes. Mais le spectateur n’entre jamais vraiment dans sa tête, ne ressent pas sa souffrance, n’éprouve guère d’empathie… Il en ressort que le film peine à susciter de véritable émotion. Sauf peut-être dans ses moments guerriers en Irak. Et encore…
Construit comme une alternance de scènes banales dans le civil et de scènes de guerre, American Sniper déroule sa narration assez efficacement… mais sans grand frisson. On est loin de la tension d’un Démineurs de Kathryn Bigelow, qui se déroulait lui aussi en Irak. À vrai dire, le moment le plus suffocant est spoilé par la bande-annonce. La surprise de voir des soldats subitement abattus par le sniper adverse, l’ennemi ultime de notre héros (cette rivalité artificielle était-elle bien nécessaire ?), provoquera quelques sursauts, tout au plus.
Côté action, pas grand-chose à se mettre sans la dent, si ne n’est un assaut final assez grotesque mené contre un commando américain réfugié sur un toit. Dans un contexte historique différent, le récent Fury prenait davantage aux tripes (le duel de tanks !), malgré un côté un peu outrancier, surtout vers la fin.
Évidemment, le point de vue américain permet de justifier un portrait peu reluisant des populations arabes, combattantes ou civiles. Les premières sont forcément barbares (le « boucher » et sa perceuse) et les deuxièmes roublardes (le mec qui demande 100 000 $ en échange d’un renseignement) ou carrément fourbes (le gars qui accueille les Ricains à sa table cache bien son jeu). Après, peut-être que l’expérience de Kyle est totalement négative à ce niveau mais il est un peu dommage qu’Eastwood n’ait pas cherché à nuancer davantage ses personnages irakiens. Par ailleurs, si rendre hommage aux soldats qui se sont battus en Irak peut se justifier, le triste état du pays 13 ans après l’intervention américaine laisse songeur.
En évitant de sombrer dans le patriotisme exacerbé ou d’esthétiser outre-mesure les affrontements en Irak, l’âpre American Sniper ressemble à une sorte d’anti-blockbuster. À contre-courant des habituels actioners hollywoodiens, le film, semble étonnamment mollasson, pas particulièrement fun ni véritablement émouvant… Déception donc, surtout de la part d’un grand monsieur comme Clint Eastwood.
(http://www.dailymars.net/brad-le-gros-bras-et-clint-le-ptit-bras-critique-damerican-sniper/)