Essai subtilement inachevé
Et bien dites donc ... tout ça pour ça ! Compagnons d'un moment de lecture de ma modeste prose, je tiens à préciser qu'ayant envie d'étayer quelque peu mon propos, ce dernier ne sera pas sans spoales. Disons que si vous voulez éviter la sensation désagréable de découvrir le film avant de l'avoir vu, je me contenterai de vous certifier qu'il est une fois de plus nécessaire de se protéger des excès de communication. Le Web 2.0 est une purge intellectuelle absolue ; le buzz pour le buzz, la comm. à outrance, ce système commence vraiment à me courir. Non, malgré tout ce qui a été dit avant par moult journalistes super bien formés, ce film n'a rien d'un brulot incroyable, pas plus qu'il ne s'agit d'une bouse infecte ou d'un chef d'œuvre intersidéral. Maintenant ça va spoaler un poil ...
Le premier sentiment que j'ai eu en sortant du cinéma s'exprima par une longue expiration. J'étais non pas énervé mais frustré. La séquence de générique a dût faire grincer quelques dents anti-américaines ou antimilitaristes. Il est certain que ce sniper, ce "monstre" comme souvent présenté dans la presse, a eut droit à de sacré funérailles faisant de lui un pu héros made in USA. Un mec qui a dessoudé plus de 200 personnes, en faire un héros, c'est une aberration. Et bien à dire vrai, même si cette séquence peut sembler lourdingue au possible, je l'ai trouvé plus maladroite que choquante. Est-ce que ce type, que dis-je ce tueur, méritait un tel hommage ? Et bien pourquoi pas ? En quoi est-il plus mauvais que celui qui a fabriquer ses balles. Que celui qui l'a envoyé en Irak ? Que ceux d'en face qui usent de gosses ? Que Kennedy qu'on aime adorer alors qu'il a sur la conscience bien plus de morts que ce texan ? Que le Che et ses cadavres ? Foutre de Zeus mais c'est la guerre ! Alors oui tuer des gens c'est pas bien, on a en Occident une morale bien chevaleresque pour se cacher les yeux mais la guerre, fait politique, social, culturel, idéologique, est mue par la violence. Cette dernière peut faire des victimes. Il n'y a pas d'innocents à la guerre, il y a des victimes. Directes ou non mais le gamin, la femme, le soldat, tous sont des victimes d'une broyeuse infernale. On me dira que le soldat c'est son boulot ; oui, bien entendu. Alors ce sniper, qui a servi son pays pour des idéaux que nous partageons parfois, méritait un hommage de son pays dont il a défendu les valeurs. On peut trouver ça choquant, mais c'est très compréhensible et en adéquation avec des codes culturels assez différents de nos canons européens. Mieux, et je conclurai par ça, c'est un coup de poing subversif dans la gueule.
Non, ma déception vient d'ailleurs. Eatswood a pris le parti de coller à la vie d'un mec ; cette sage application l'a fait passé à mon sens à côté de personnages foutrement plus intéressants. Ce Texan est incroyable de caricature. Buté au possible, incapable de réfléchir au-delà de son envie de servir son pays, il est assez pathétique. Du coup, dès qu'une question intéressante est soulevée, esquissée, la monotonie de ce personnage qui s'enfonce dans sa guerre reprend le dessus. Le film souffre de ne pas assez traiter cette femme qui attend, ce frère qui explose en Irak sous le regard incrédule du grand frère protecteur, cette figure du père, pardon, de Monsieur. Le film ne peut donner plus de corps à ce sniper adverse qui évolue selon sa propre logique de tout aussi compréhensible que celle de l'envahisseur cowboy, car liée à un sentiment validé par les faits d'agression. Le film souffre de ce que ce Kyle est un bourrin, texan jusqu'à la moelle, sans capacité de réflexion réelle. Un pauvre type qui sait tirer admirablement, qui a été élevé dans des valeurs dont il ne parvient pas à s'extirper faute de culture ou de volonté. Le film souffre d'un traitement lointain de cette guerre d'Irak, dont on ne parle pas quant à son échec final, total. Le film souffre à montrer réellement comment ces soldats dézingués par la guerre ont dû mal à revenir vraiment. La brutalisation de Kyle, abordé, ne parvient jamais à décoller. Franchement, celle de Brody dans Homeland ou de Paul Bäumer dans A l'ouest rien de nouveau de Milestone sont largement mieux réussies et abordées. Et que dire de celle de ces Anglais dans l'excellent et trop méconnu Warriors de Peter Kosminsky . Franchement, à titre comparatif sur le même conflit, Battle for Haditha est nettement supérieur quant au traitement du conflit irakien.
Pourtant, cet American Sniper est meilleur que l'oscarisé "Démineur" (ça je ne m'en remettrai pas). Froid, manquant d'émotion, porté par un Bradley Cooper qui fait de son mieux mais que j'ai trouvé plus touchant et percutant dans "The place beyong the pine", le dernier opus d'Eatswood mérite d'être vu. Il commence par rappeler que la guerre contre le terrorisme n'a pas commencé en 2001 mais dès la fin des années 90, après l'intervention en Irak de 1991 qui a vu des soldats US s'installer en Arabie Saoudite - crime horrible pour de nombreux fidèles du genre Ben Laden - , et pourrir un Irak déstabilisé mais toujours sous la coupe d'un dictateur dont on a du mal à se débarrasser. Mieux, ce film nous parle à nous occidentaux et, plus particulièrement aux Américains. Cette séquence finale, que certains ont dénoncé comme gerbante de patriotisme, doit être retournée. Certes, elle est maladroite et n conclusion sur la guerre d'Irak eut été pertinente pour mettre en rapport ces souffrances pour un résultat pire. Mais elle a, je crois, un sens plus subtil. Après avoir montré comment l'Amérique a enfanté un type incapable du début du commencement d'un processus de réflexion sur lui, sa famille, le sens de son engagement, enfermé dans un carcan mêlant culte paternel, culte d'un christianisme mal digéré à grands coups de croisade du bien contre le mal, culte des héros, droit à la violence pour combattre les loups et sauver les agneaux, Eatswood touche au but. Ces drapeaux, cet hommage explosent en pleine gueule. Non, décidemment, ces gens-là n'ont rien compris. Non, ce pauvre type inculte n'est pas un monstre. Le monstre, c'est la société US qui a généré cet écervelé et qui se gargarise d'en faire un héros tueur de méchants barbares. Le monstre c'est l'ignorance des autres, la certitude d'une partie du monde d'avoir la vérité contre les autres, à l'image des religions monothéistes ou du communisme. Le monstre, c'est l'incapacité à réfléchir et chercher de comprendre, à pouvoir accepter que d'autres peuvent penser autrement.