Toute la substance d'American Sniper réside dans cette scène de flashback présentant l'enfance du héros, où le père explique à ses deux fils sa vision du monde. Sûr de celle-ci et suite aux événements du 11 septembre, Chris Kyle s'engage pour défendre son pays et le rayonnement de celui-ci. Rappelant par instants le Démineurs de Kathryn Bigelow dans la tension qu'il installe et ne relâche jamais, le film de Clint Eastwood fait peu à peu perdre pied à son héros et brouille ses repères sur le bien et le mal, dans un théâtre des opérations qui fait que chacun, même sous la plus soumise ou enfantine des attitudes, peut finalement se révéler une menace, un ennemi potentiel de l'Amérique. Cette incertitude et cette paranoïa contaminent peu à peu jusqu'à sa vie de famille, à laquelle il assiste sans y prendre part, tel un fantôme, dont l'humanité et la raison d'être sont restées en Irak.
Tendu dans ses scènes d'action / thriller, faussement calme dans ses moments relatifs au retour au pays, manifestation du stress post-traumatique dont Kyle subit les symptômes, American Sniper est une autopsie au scalpel de son héros et de ses failles ainsi que, par extension, de l'Amérique et de son armée, d'abord portées par un sentiment d'invincibilité et de faire le bien ; sentiments qui, ensuite, vacillent peu à peu. Amérique aussi traumatisée par les attaques portées sur son propre sol que par le sort réservé à ses soldats dans les conflits lointains, via plusieurs références et allusions au Vietnam ou à Mogadiscio où a eu lieu la désormais célèbre Chute du Faucon Noir.
Nous retrouvons là le meilleur de Clint Eastwood, qui captive et force son public à retenir sa respiration, à l'image de ce siège final haletant se terminant dans une tempête de sable, doublé d'un formidable duel à distance entre Kyle et sa némésis. A tel point que le réalisateur de Gran Torino et Million Dollar Baby signe là son retour au sommet.