Sans doute faut-il commencer par dire qu'American Sniper est un superbe film de guerre, chacune des scènes en Irak est une merveille, terriblement tendue, Eastwood ne nous laisse presque jamais respirer (cette putain scène dans la poussière...). On est rapidement imprégné par la chaleur, le danger omniprésent, l’ultra-violence, la volonté de vengeance, la folie et les remords qui guettent chaque sortie en territoire ennemi. Le film est aussi un très beau drame, pudique et délicat comme c'est si bien les faire Eastwood. Composé de plusieurs morceaux d’une rare intensité dramatique, comme la rencontre avec ce soldat qu’il a sauvé et qui nous met rapidement mal à l'aise, ou son non-retour dans le foyer comme un certain Mike en son temps signe que quelque chose reste encore à accomplir . Le portrait d'un homme démuni face à ses convictions et dépassés par le monde qui l'entoure. Si le film n'était « que » ça, ce serait déjà très bien, mais ce qui à mon sens le fait devenir si beau c'est son propos plus "général". C’est aussi ce qui fait sa richesse, le fait que l’on puisse prendre American Sniper sous différents angles.


A partir d'ici, je me fais l'avocat d'Eastwood.
Dans American Sniper le vieux Clint tente une chose extrêmement difficile mais qui peut s'avérer salvatrice, tourner la page et refermer les blessures ouvertes depuis le 11 septembre. Il faut regarder le film avec ce prisme. Depuis toujours les USA ont besoin de s'inventer une histoire pour avancer, de se rassembler autour de quelque chose de fort et d'unificateur. C'est le "God Bless America" de Voyage au bout de l'enfer ou encore le "mensonge" de Wayne à la fin du Massacre de Fort Appache, dans ce cas la mort et donc l'enterrement d'une "légende" de l'armée. Chris Kyle est une image de l'Amérique. Il s'en va la fleur au fusil et déchante rapidement, il se bat pour des raisons personnelles contrairement aux raisons officiellement invoqués, il veut protéger mais ne fait que tuer. Et malgré le choc et les fantômes qui le hantent, il ne doute pas de son devoir. Pas de quoi rendre notre soi-disant héros bien sympathique, mais Eastwood a appris au moins une chose de Ford et ses successeurs, on ne laisse pas tomber les soldats. On peut critiquer les généraux et les hommes politiques qui prennent les décisions mais l'armée en tant qu'institution et les hommes qui la composent restent toujours en dehors de ça. Car cette dite armée incarne depuis toujours, l'une des bases de la nation américaine.
Après nous avoir décrit 15 ans d'histoire à travers le parcours de cet homme, Eastwood semble nous dire qu'il faut passer à autre chose, se reconstruire, aller de l'avant. Car si cet homme qui est une image des Etats-Unis je le rappelle, finit par redevenir lui-même, ce n'est le cas qu'en apparence. Il faudra sa mort et son inhumation suivit par des milliers d'américains, pour enterrer avec lui le souvenir d'une guerre et les démons qui vont avec, et enfin amorcer la reconstruction. On pourrait voir ça comme une célébration patriotique, mais ce serait oublier le besoin qu’a cette nation d’avoir de grande figure mythique auxquels se raccrocher, aujourd’hui ce n’est plus Lincoln ou Wyatt Earp mais Chris Kyle.

C'est dans cette optique, qu'American Sniper reprend la ligne de Voyage au bout de l'enfer, faire le bilan, montrer les blessures, les manques pour aller à l'instant fatidique ou l'on se rassemble autour de ce qui est mort et l'on pense à l'avenir.
Que ce film vienne d’Eastwood, presque 85 ans, ça me sidère.

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le 12 mars 2015

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Biniou

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