On passera rapidement sur les accusations idiotes lancées à droite à gauche concernant le film et son réalisateur. On se croirait revenu à l’époque de Dirty Harry. Et comme à l’époque on notera avec une légère pointe d’inquiétude ou de désespoir la capacité des réactionnaires américains à s’approprier certaines œuvres en dépit de ce qu’elles racontent et on y reviendra.
Ici, point d’angélisme ou d’héroïsme. Le personnage n’est pas spécialement sympathique, même si a priori le modèle était pire, il est parfaitement désincarné, modelé dès le moment où son père lui a dit que le monde se divisait en 3 catégories… Ce jour là, en embrassant le triptyque inepte de son paternel, Chris Kyle était foutu. La guerre sera simplement l’occasion pour lui d’exprimer la bêtise du postulat de départ en étant tout à la fois victime et bourreau, et finalement assez peu chien de berger.
Le film a bien sûr des défauts, comme l’opposition avec le sniper ennemi, aussi finement gérée que dans Stalingrad, et ça n’est pas peu dire, ou certains passages avec la famille qui ont un intérêt limité et parfois trop démonstratif. Mais dans l’ensemble, c’est ce que j’ai vu de meilleur d’Eastwood depuis Gran torino et je ne vais pas bouder mon plaisir. Il est près du texte quand il film, sobre également, évitant l’écueil pseudo réaliste épileptique tellement courant ces dernières années, et est servi par un Bradley Cooper plutôt surprenant et dimensionné pour le rôle.
Pour revenir comme prévu sur l’acceptation du film par le public américain, avec un démarrage insensé pour un film de Clint Eastwood, c’est effectivement la faculté d’absorption par les franges droitières qui est intéressante. Et c’est bien ce qu’il décrit dans son film : l’éducation flingue tout dès le départ, on pond une légende d’un militaire au front depuis 6 mois, on évite soigneusement de s’occuper des autres, ceux qui ne correspondent pas au mythe (le frère déboussolé dans le sillage de la légende, le presque-prêtre…) et on s’abandonne dans un grand tout collectif messianique, chose curieuse pour les chantres de l’individualisme.
Pour moi, entre la scène avec le reflet dans l’écran vide et l’impossible réadaptation au monde civil, Eastwood compense le tropisme pour les valeurs guerrières, on pourra simplement lui reprocher de ne pas être bien innovant dans un domaine déjà bien pavé du cinéma américain depuis les années 70. Et pour finir sur les images d’archives (récentes) des funérailles de Chris Kyle, je dirais juste qu’elles me foutent les jetons, et qu’elles flattent certainement le sentiment patriotique des gens qui étaient sur le bord de la route, heureux de s’être fondus dans la grande histoire, ce qui est un contresens puisque tout le film parle d’un mec qui aura vu le monde à travers le petit bout de la lorgnette.