Ok, Clint a beaucoup œuvré tout au long de sa carrière pour le bien du cinéma américain...
Ok, il a pu par le passé (ça remonte à quand déjà?) manifester un regard original sur l'histoire de son pays et plus complexe que son attachement républicain pouvait, à nous européens, nous le faire espérer...
Ok, ce n'est pas le dernier des manchots côté mise en scène et son élégance classique fonctionne à plein tout au long d'American Sniper...
Ok, la scène de l'extraction au cours de la tempête de sable est magnifique...
Ok, enfin, pour en savoir gré à Clint Eastwood de nous éviter l'esthétique jeu vidéo qui envahit le tout venant actuel du film de guerre hollywoodien...
Mais est-ce que tout ceci autorise une telle indulgence, voire complaisance, à l'égard d'American Sniper? Car, franchement, on peut tenter de complexifier le discours de Clint tant qu'on veut, y voir des nuances derrière un premier degré exaspérant qu'aucune séquence, aucune petite scène ou même ligne de dialogue ne vient chahuter. Mais, pour tout dire, on a surtout le sentiment d'assister, moitié gêné moitié irrité, au discours, lors d'un repas de famille, du vieil oncle un peu sénile qui se met à parler politique avec la subtilité et la pertinence que les vapeurs d'alcool et la dégénérescence neurologique peuvent conférer. Tiens, un peu comme le discours que Clint a tenu lors de cette fameuse convention républicaine en 2012.
Il faut quand même dire à quel point le discours qui irrigue le film et les valeurs qui y sont défendues, et même glorifiées, sont nauséabonds. Tout au long du film, on attend le moment où Eastwood va nuancer le portrait du héros américain qu'il construit laborieusement. On guette à chaque réplique l'ambiguïté. Et rien ne vient. Ou alors, elle est très rapidement balayée voire dénigrée. Oui, dénigrée car la remise en question de l'engagement militaire et du positionnement du héros se fait par la médiation de personnages qui sont eux-mêmes décrits comme "inférieurs" : le frère, cette brebis castrée; et la femme, qui est ou une garce ou une pleureuse ambivalente qui-veut- pas-voir-partir-son-homme-mais-qui-quand-même-est-tellement-fière-de-lui... Mais bon, comme c'est très précisément dit dans le film, s'il ne sait pas tirer, tout ce qu'il reste à notre bon héros comme choix de carrière, c'est infirmier, ce métier de lopette... Alors, bon, sniper c'est quand même mieux, ça en jette plus...
Notre bon héros américain va quand même un peu mal (il a tué des gens, rappelons-le), alors, bouh, il fait les gros yeux quand il entend des jouets d'enfant parce que ça rappelle trop les combats en Irak... C'est très bien fait d'ailleurs, merci Clint, merci Bradley, pour ces grands moments. Alors, notre héros va mal et il va voir un psy (un autre métier pour lopette probablement), mais c'est pas son truc ça non plus, la parole, la mentalisation (d'autre séquences nous l'ont bien montré), alors il va s'occuper des mutilés de guerre parce que s'épancher sur son traumatisme, c'est pas ce que fait un vrai héros. Non, il doit continuer à sauver tout le monde, c'est son rôle, sa raison d'être... D'ailleurs peut-être que le traumatisme de guerre n'existe pas vraiment, encore un truc pour les inférieurs certainement...
D'autre part, malgré l'appellation "histoire vraie certifiée", le récit souffre de facilités énormes, peu crédibles, qui font fi de tout réalisme psychologique alors que le film cherche précisément le portrait psychologique du personnage. La séquence où notre Chris Kyle décide de s'inscrire à l'armée après avoir 1) été trompé par sa garce de copine 2) trop bu 3) vu à la télévision les méfaits des méchants terroristes est à ce titre assez exemplaire et risible. La scène des attentats du 11 septembre se révèle particulièrement ratée. On ne peut passer non plus sous silence la scène très embarrassante où la femme de Kyle est au téléphone avec lui pendant qu'une attaque se produit. Le pire des mélos n'aurait pas osé penser à une telle séquence (comme la séquence à l'hôpital avec la famille dans Million Dollar Baby, d'ailleurs...). La liste serait longue et l'on pourrait citer de nombreuses séquences très pénibles que nous inflige le film.
Pour conclure, l'absence de contextualisation et de mise en perspective finit par agacer totalement et de nuire définitivement au film, qui devient particulièrement long et ennuyeux. On pense alors beaucoup à Démineurs et Zero Dark Thirty, autrement plus subtils et intéressants... J'ai lu quelque part que le succès d'American Sniper permettrait de relancer un projet de Kathryn Bigelow... Au moins, American Sniper ne sera peut-être pas totalement vain.