Clint a été notre héros pendant deux bonnes décennies, et du coup, il me semble qu'il a bien gagné le droit qu'on le laisse vieillir tranquillement, ce que j'ai personnellement décidé de faire en faisant l'impasse sur ses derniers films. "American Sniper" était bien plus difficile à ignorer, vu qu'il travaille les grands sujets "eastwoodiens" (l'Amérique et ce qui la constitue, et la notion même d'héroïsme), et parce que la polémique suscitée en France a été - très logiquement - à la hauteur du succès public aux US. Ambigüité quand tu nous tiens ! Eastwood, malgré l'âge qui s'avance, reste toujours Eastwood, d'abord un grand metteur en scène - "American Sniper" renvoie 99% des films américains récents aux poubelles de l'histoire du cinéma -, mais aussi un observateur fin, très malin même derrière cette frontalité basique qu'il revendique toujours, de "l'américanité". Porté par un Bradley Cooper massif qu'on n'avait jamais vu aussi bon, le film semble dire tout et son contraire, suivant le point de vue même de son spectateur : comment l'Amérique fabrique des monstres avec son idéologie décérébrante, et comment elle détruit par la même ses enfants en même temps que le monde-"ennemi"... ou bien au contraire, combien elle a besoin pour exister de cette vénération quasi magique de l'héroisme face à la lâcheté des "autres". La conclusion "patriotique" (mais doit-on la lire ainsi ? Rien n'est moins certain...) s'assure de faire coller la lecture très orientée, "revisited", de la biographie de Chris Kyle que Eastwood a réalisé, avec l'hystérie droitiste et militariste qui croit outre-Atlantique, et, personnellement, je trouve cela très fort. "American Sniper" n'est certes pas un chef d’œuvre, malgré sa forme impeccable, mais il prouve qu'Eastwood reste un directeur incontournable, un trublion plus pertinent que jamais. [Critique écrite en 2015]