"Amour" c'est l'histoire de la vieillesse qui malmène un couple d'octagénaires parisiens bourgeois et cultivés devenus fragiles et vulnérables, à mi-chemin entre une fatigue existentielle et l'attente d'une mort sans bruit. Mais au delà de cette atmosphère morbide, il y a aussi l'histoire de deux amants qui ont vieilli ensemble et qui partiront ensemble, comme on s'en va écouter Schubert au théâtre des Champs-Elysées - sereinement et sans oublier son manteau pour ne pas attraper froid.
Ce qui m'a émue dans ce film ce n'est ni la vieillesse qui se fait oppressante ni le morbide de la maladie dégénérative mais la violence avec laquelle ces deux êtres lents et fatigués répondent à une vie qui se traîne. C'est justement cette violence qui m'a sortie d'une potentielle suspicion. Alors certes, vous allez me dire que c'est fait exprès, c'est du Haneke, etc ... Toujours est-il que cette violence, qu'on ne pourrait qualifier d'omniprésente mais qui se fait tout de même bien sentir à certains moments (quelques échanges secs et agacés entre Anne et Georges, la claque, l'oreiller et de manière plus générale les longs plans froids), eh ben elle m'a un peu retournée. Rien n'est doux dans ce film, même la tendresse et la mélancolie des vieux jours sont toujours contrecarrées par les dialogues et la mise en scène abrupts.
Grosse parenthèse : la chanson de Jacques Brel a failli donner son nom au film et on comprend vite pourquoi. La structure du texte pourrait presque résumer le film à elle toute seule. Je me suis donc "amusée" à faire les parallèles entre la chanson et le film, voilà :
"Les vieux ne parlent plus, ou alors seulement parfois du bout des yeux" : il n'y a qu'à regarder l'affiche du film. Les grands yeux bleus et vides d'Emmanuelle Riva ne répondent plus à l'inquiétude de Jean-Louis Trintignant.
"Chez eux ça sent le thym, le propre, la lavande, et le verbe d'antan" : Anne et Georges ne s'expriment que dans un français littéraire (un peu trop parfois) et bourgeois, témoin de leur érudition mais aussi de leur appartenance à un autrefois où l'on parlait comme dans les livres.
"Les vieux ne bougent plus, leurs gestes ont trop de rides, leur monde est trop petit / Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit" : n'est-ce pas l'évolution exacte d'Anne (et à quelques détails près, celle de Georges) ?
" Et s'ils sortent encore bras dessus bras dessous tout habillés de raide / C'est pour suivre au soleil l'enterrement d'un plus vieux, l'enterrement d'une plus laide " : cf. l'enterrement de Pierre et le court et cynique récit qu'en fait Georges à son épouse.
Et le dernier paragraphe pour finir en apothéose :
"Les vieux ne meurent pas, ils s'endorment un jour et dorment trop longtemps / Ils se tiennent par la main, ils ont peur de se perdre et se perdent pourtant / Et l'autre reste là, le meilleur ou le pire, le doux ou le sévère / Cela n'importe pas, celui des deux qui reste se retrouve en enfer / Vous le verrez peut-être, vous la verrez parfois en pluie et en chagrin / Traverser le présent en s'excusant déjà de n'être pas plus loin" : tout est dit.
Fin de la grosse parenthèse.
Pour conclure tout ça, je me contenterais simplement d'apprécier le silence du film et particulièrement celui du générique de fin qui achève l'oeuvre en beauté et abandonne le spectateur dans un état presque post-traumatique.