Aimer les films de Michael Haneke n'est pas facile, et nul ne saurait critiquer celui (ou celle) qui se sentirait manipulé(e) par la froide approche "technique" du grand (eh oui, il faut reconnaître désormais que Haneke est un "grand" du Cinéma !) réalisateur autrichien. "Amour", film justement célébré un peu partout sur la planète, ne transige pas avec les règles habituelles de Haneke, puisque toute émotion, toute sollicitation empathique du spectateur est délibérément exclue du programme, tranchant ainsi avec les systèmes mélodramatiques mis en œuvre dans 99% du cinéma mondial, sous l'influence - quasi terroriste - de Hollywood. Ici, c'est l'intelligence qui est sollicitée, en l'absence de l'habituelle hémorragie sentimentale qu'un tel sujet (la fin de vie, triviale et sale, et la mort - cruelle - de l'amour qui accompagne forcément la mort de l'être aimé) aurait généré ailleurs : il y a de quoi se sentir ébranlés dans nos habituels réflexes pavloviens, en effet. Oserais-je dire, malgré le gouffre qui sépare ces deux artistes, que j'ai trouvé quelque chose de bressonien dans le travail de Haneke, cette fois ? La dissociation de l'interprétation à travers un langage libéré des tics "psychologiques" du cinéma-spectacle (même si, au contraire de chez Bresson, ce sont deux acteurs immenses - et non des amateurs - qu'on voit ici au travail...), et la recherche de l'universalité de la "vérité", grâce au dépouillement du traitement scénaristique et esthétique, sont deux aspects forts du film, qui nous lavent les yeux et la tête de tant de boue que nous regardons quotidiennement. Haneke montre dans "Amour" ce qui ne devrait pas être montré (un postulat clairement énoncé par Trintignant dans le film) de la mort qui vient et du corps et de la tête qui lâchent, et pour cela, il reste le cinéaste provocateur, obscène, qui nous torturait avec son "Funny Games". Mais ce qui est vraiment exceptionnel - et infiniment douloureux - dans son travail, c'est qu'il ne nous met jamais à la place de ce couple qui disparaît : il nous place face à notre propre disparition, inévitable. [Critique écrite en 2013]