Cela faisait un moment que la grisaille parisienne me teintait de mélancolie, et que j'avais l'envie de voir un film triste. Dramatique. Le genre film qui me fera pleurer toute la nuit, et toute la journée suivante. J'ai retrouvé Amour un peu au hasard dans mon stock de films à voir, et je me suis dit que c'était le moment ou jamais. Il était là depuis si longtemps, m'implorant du regard, et je tournais toujours mon choix vers un autre, pour ne pas atténuer ma bonne humeur. J'ai eu raison, dans un sens. Mais j'ai eu tort d'attendre si longtemps pour voir cette merveille.
Amour fait exactement parti du genre de film que je recherche et que j'admire : ceux qui sont capables d'utiliser tous les moyens à leur disposition pour faire passer une émotion. L'image et le son en l’occurrence, ici, sont vraiment traité avec une délicatesse et un raffinement qui m'ont bouleversée.
Le son. Je n'y suis pas vraiment sensible en général. C'est une présence permanente, qui sert à la compréhension par les paroles, et à l'émotion par la musique. Mon analyse avait tendance à s'arrêter là. Le son c'est bien, et c'est réussi quand il sait se faire oublier. C'est ce que je pensais, avant de voir Amour, qui m'a démontré tout l'inverse : le son était criant par son absence. Aucune musique, si ce n'est celle du piano, toujours justifié, intra-diégetique, comme dirait mes profs d'analyse de film. Mais je ne cherche pas à faire une analyse objective ici, juste à décrire au mieux ce que j'ai ressenti en voyant le film, et voici ce que j'ai ressenti : une tragique absence de musique, qui, même quand elle retentissait, semblait ne le faire que pour mieux nous dire qu'elle avait été absente jusqu'ici. Le piano, et par son biais la musique, est un personnage à part entière du film, avec tout le concret qu'implique ce terme. Et a aucun moment il n'est question de dé-concrétiser ce personnage par une musique qui aurait une provenance externe, qui rappellerait le travail d'un monteur et d'un mixeur. Non, ici, il n'y a qu'un épurement extrême de la bande son, impliquant exclusivement les éléments sonores du film, ce qui ne rend que plus tragiquement présent les gémissements de Anne. Même le générique défilera dans le silence le plus total. Il n'aurait pas été question de briser cette harmonie parfaite entre scénario et son au dernier moment. Oui. Même le générique m'a fait pleurer.
L'image elle aussi est tout à fait poignante. Darius Khondji, héro des temps modernes, prouve encore dans ce film son génie, par une image extrêmement pudique. Je n'ai pas d'autre mot. Il ne s'agit pas de s'éterniser sur la souffrance de la vieille femme, de montrer toutes les étapes de sa déchéance. Et pourtant, ces images à la plastique superbe restant souvent à distance, ou traduisant des ellipses, ces métaphores visuelles, tout cela ne rend que plus terrible la fin de cette femme.
« tout cela ne mérite pas d'être montré », dit Jean-Louis Trintignant. Et effectivement, tout cela n'est pas montré. Cela n’empêchera pas la fille de pleurer la souffrance de sa mère, tout comme cela n’empêchera par le spectateur de ressentir la même peine que la jeune femme. Au contraire.
Il y aurait des centaines de choses à rajouter sûrement. Le jeu incroyable des deux acteurs principaux, le travail fantastique de scénarisation d'un drame, ect. Je ne cherche pas ici, je l'ai déjà dit, à construire une critique objective, simplement à relever les éléments qui m'ont touchés, ou du moins ceux que j'ai pu repérer, car je ne doute pas qu'une grande quantité d'éléments qui ont participé de mon émotion me sont restés inconscient. Et c'est aussi ça qui crée la magie d'une émotion.