Premier long-métrage d'Inarritu, Amores perros est un film choral plus généraliste que ses opus suivants. Trois personnes ou groupes de personnes y sont reliés par un accident de voiture, où elles ne font que se croiser. L'autre point commun est l'importance prise par leurs chiens. Ce triptyque donne l'occasion de visiter Mexico avec une attention privilégiée pour les bas-fonds ; en terme de violence et de pollution, la capitale mexicaine est compétitive face à Sao Paulo, Caracas et les autres champions.
L'approche est réaliste et fiévreuse, sans prétentions documentaires ou recherche de 'témoignage' social. Inarritu dresse un tableau émotif et cynique où chacun doit revenir à l'humilité. Les conditions d'existence sont sauvages : pour Octavio elles ont toujours été ainsi, 'El Chivo' a dévalé la pente et Valéria est en train de s'effondrer. L'histoire concernant cette dernière est plus allégorique et grâce à ses ressources et son statut, elle reste protégée de la brutalité de la rue. Mais Valéria ne coupe pas à l'essentiel. Son handicap (provoqué par l'accident) l'éjecte à la périphérie de son milieu guindé et mondain, la prive de facilités et de réconforts, la propulse sans armes dans un vide nouveau.
En perdant ses atouts elle devient une sorte d'ignorante, précocement mise au placard, vierge face à tout ce qui a pu dormir tant qu'elle avait les rituels et la sensation de maîtrise pour conjurer. Avec ce fragment et celui d'El Chivo, Amores perros montre comme les aléas sévères peuvent enlaidir, rabaisser (Victoria à l'univers si guindé et mondain se transforme en prolo ordurière et usée quand elle a perdu sa valeur et sa sécurité), ou pire mettre à nu des gens qui n'auront plus rien pour se soutenir. La mise en scène suinte une espèce de compassionnel navré, sans amertume, volontaire pour aller au-devant de la cruauté. La technique du 'silver taint' (sels d'argent laissés sur le négatif) aurait été utilisée et expliquerait la flamboyance de l'image. Guillermo Arriago (qui représentait déjà Mexico dans ses précédentes collaborations avec Inarritu) a parfois la main lourde dans l'écriture, en cherchant à mettre en relief du significatif, de l'ironie (sur quoi surenchérissent les analogies hommes/chiens), avec succès d'ailleurs.
Il créée surtout des personnages complexes, désagréables voire indéfendables et refusant de rendre des comptes. Même dans les égouts leur vitalité brille encore. Ils attirent la sympathie à cause de leur entièreté et de leur obstination, pas pour ce qu'ils sont ou essaient d'être – qui est brutalement nié ou chamboulé par un flot incontrôlable, les forçant à confronter (bestialement si nécessaire) les agressions constantes, omettre les rêveries flatteuses sur leur compte. La construction est assez bizarre puisque l'homme aux chiens (versant le plus odieux, le meilleur) grignote le terrain jusqu'à occuper l'ensemble dans la dernière heure, après avoir été un détail au coin de la rue au départ. Après la pluie de récompenses obtenues pour ce film, Inarritu sera récupéré par Holywood et expert en contemplatif humanitaire (Babel, Biutiful), amples pleurniches (21 grammes) et exhibitions de grosses ambitions (Birdman, The Revenant), Gael Garcia Bernal deviendra acteur international (Carnets de voyage, La Mauvaise éducation).
https://zogarok.wordpress.com/2016/11/02/amours-chiennes/