Heart Peeler

"Wastes" est le mot anglais pour "déchets". C'est également le terme utilisé pour parler de gaspillage, alimentaire par exemple, mais pas seulement. Gâcher de belles opportunités, perdre son temps ou encore prendre de mauvaises décisions: le gaspillage n'est pas que matériel. Un mot très fortement connoté qui inspire une certaine forme de jugement lorsqu'il est utilisé par une autre personne et surtout des regrets lorsqu'on est soi-même concerné. Gaspiller l'amour. Cela pourrait être ne pas saisir correctement l'opportunité qui s'offre à soi, avoir un esprit volage ou encore faire des erreurs menant à la fin d'une relation pourtant prometteuse.

Avec son histoire d'amours et d'amitiés gâchées, Stanley Kwan offre une expérience très intimiste et exigeante, d'une beauté rare dont l'humanité très justement dépeinte explose littéralement à l'écran. Avec un casting composé de futures stars du cinéma hongkongais en devenir, il raconte à sa manière et dans ce style très particulier propre aux romances hongkongaises, l'histoire d'une rencontre entre un homme perdu sentimentalement et trois amies appartenant au monde du spectacle rêvant de succès. Si dans un premier temps tout va bien dans le meilleur des mondes, que l'amitié se renforce et que l'amour commence à naître, un évènement dramatique va briser cet idylle: le meurtre sauvage de la chanteuse du groupe Chao Su-Ling. Tournant majeur dans l’œuvre, arrivant sans crier gare et d'une violence surprenante, plus rien ne sera jamais comme avant. De cette amie partie bien trop tôt ne reste qu'un enregistrement, destiné à son amour resté vivre à Taïwan. Comme si cette dernière savait que quelque-chose de grave allait lui arriver, elle délivre son testament.

Dès cet instant et jusqu'à la fin du récit, les personnages vont tenter de retrouver ce paradis perdu, faire comme si de rien était. Pensant naïvement que tout peut recommencer. Mais Stanley Kwan n'est pas de cet avis. A chaque fois que l'amour est sur le point de renaître de ses cendres, peut-importe sa forme, il est instantanément dynamité par un élément extérieur, bien souvent en lien avec la perte récente de cette amie chère. Un nouveau personnage entre alors dans l'équation.

Qui dit meurtre dit enquête, et qui dit enquête dit inspecteur. C'est ainsi que Kwan introduit le second élément perturbateur de son histoire, l'homme envoyé pour résoudre cette affaire de meurtre, l'inspecteur Lan. Paria très invasif aux méthodes douteuses, qui aurait très bien pu être le cliché du flic bizarre mais brillant dans un autre film, son rôle est en réalité tout autre. Triste et sombre dessein pour un homme qui derrière son côté exubérant cache en réalité un mal-être profond et incurable: la solitude. Quelle soit mentale ou bien concrète, la solitude pèse et ne peut-être ignorée. Un homme seul acharné de travail se sachant condamné; une femme bien entourée partie vivre loin de celui qu'elle aime pour gagner sa vie; un fils forcé par les conventions sociales à trouver sa moitié; une star naissante qu'on ne reconnaît pas dans la rue et qui se cache pour observer le monde; une actrice incomprise sans contrat depuis bien trop longtemps prête à tout pour que son logis ressemble à un vrai foyer.

"Love Unto Waste" est une œuvre complexe, à la fois cruelle et délicate, poétique et passionnée. Elle dresse le portrait de personnages que l'on apprend très vite à apprécier pour ce qu'ils sont, aussi bien pour leurs qualités que leurs défauts. Qu'importe de savoir qui a pu tuer la jeune chanteuse, qu'importe les motivations, l'important est de voir comment évoluent les personnages face à ce brutal rappel à la réalité. Une seule chose est certaine en sortant de ce visionnage: je n'ai pas gaspillé mon temps aujourd'hui.