Sans Soleil
Dans ce qui restera l'unique long-métrage de Hu Bo, qui mit fin à ses jours peu de temps après l'avoir achevé, le fond et la forme s'associent pour accoucher d'une œuvre d'une grande force lyrique...
Par
le 8 janv. 2019
50 j'aime
5
AN ELEPHANT SITTING STILL (Hu Bo, CHI, 2018, 230min) :
Un sensationnel film choral choc où des vies asphyxiées, prisonnières du gris, tentent de sauver leurs âmes par le rêve d'un Eldorado pachydermique. Une fuite obsessionnelle "salutaire" qui les unit, forgée par une légende locale qui raconte qu'un éléphant sauvé d'un cirque reste depuis continuellement assis, à ignorer le monde qui l'entoure, au sein du zoo de la ville de Manzhouli, dans le nord de la Chine.
Étrange sentiment à la découverte de cette œuvre monumentale de presque 4 heures, en sachant que cette expérience cinématographique sera l'unique témoin de la carrière de cinéaste de Hu Bo, qui a choisi de rejoindre l'au-delà en se donnant la mort peu de temps après la fin de la post-production de son premier long métrage. Un souvenir impérissable restera en nous, tant ce morceau de cinéma posthume nous emporte vers un mal être et un spleen dont on ne peut que profondément ressentir avec tristesse toute l'intimité du mal de vivre de son auteur lui-même.
Depuis l'œuvre entière de Béla Tarr, dont l'inspiration cinématographique transpire au sein de ce film-monstre, nous avions jamais pu errer ainsi, à travers un labyrinthique récit inéluctable d'une noirceur absolue avec quatre destins presque "mythiques" englués dans leurs vies au sein d'une ville en déconstruction aux décors fantomatiques. De façon époustouflante l'impressionnant cinéaste déploie une virtuose mise en scène avec des plans-séquences virevoltants, des travellings fascinants pour accompagner ces sentiers de la perdition. La caméra spontanée de façon circulaire ou plus souvent derrière le protagoniste suit au plus près les visages défaits, la chute de l'humanité, et regarde les Hommes tomber, ne laissant ainsi pratiquement aucune échappatoire pour mieux immortaliser une narration en lévitation, où les humains avancent à travers des lignes de fuites floues jusqu'au barrissement final...Comme une première lueur dans la nuit de Dante, pour retrouver enfin la fureur de vivre...
An Elephant Sitting Still est un chef-d'œuvre mal aimable qui offre un saisissant portrait de la Chine contemporaine où la misère sociale et la violence se côtoient de façon accablante dans le brouillard, et étouffent la vie quotidienne des habitants de ces villes post-industrielles complètement sinistrées. Un film fleuve vertigineux comme un envoûtant voyage opaque vers l'abîme, dont l'ampleur s'avère universelle par l'égoïsme comportementale de la nature humaine et le glaçant constat de la détresse collective qui tend à submerger notre monde moderne voué à sa perte, si l'on continue de se tromper de nature. Une odyssée crépusculaire existentielle éprouvante, portée par des interprètes à l'intensité naturelle d'incarnation absolument stupéfiante.
Venez découvrir ce somptueux chant du cygne funeste, en allant à la rencontre du mélancolique An Elephant Sitting Still. Merci Mr Hu Bo pour cet intemporel testament cinématographique dont le spleen continuera d'accompagner nos fleurs du mal...Le noir vous allait si bien...
Désespéré. Hypnotique. Puissant. Grandiose.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2019
Créée
le 14 déc. 2023
Critique lue 961 fois
5 j'aime
D'autres avis sur An Elephant Sitting Still
Dans ce qui restera l'unique long-métrage de Hu Bo, qui mit fin à ses jours peu de temps après l'avoir achevé, le fond et la forme s'associent pour accoucher d'une œuvre d'une grande force lyrique...
Par
le 8 janv. 2019
50 j'aime
5
Le constat ne manque pas de paradoxe : dans l’histoire de l’art, l’inspiration doit une part grandissante au pessimisme. Alors que les premières représentations insistent sur l’idée d’une trace à...
le 9 nov. 2020
38 j'aime
6
An Elephant Sitting Still est un sacré morceau de cinéma, non seulement pour sa lenteur et sa durée, mais surtout parce qu'il met du temps avant de se révéler. Disons qu'au cours du film j'ai tout...
Par
le 8 janv. 2020
37 j'aime
1
Du même critique
PLAIRE, AIMER ET COURIR VITE (2018) de Christophe Honoré Cette superbe romance en plein été 93, conte la rencontre entre Arthur, jeune étudiant breton de 22 ans et Jacques, un écrivain parisien qui a...
Par
le 11 mai 2018
36 j'aime
7
MOI, TONYA (15,3) (Craig Gillespie, USA, 2018, 121min) : Étonnant Biopic narrant le destin tragique de Tonya Harding, patineuse artistique, célèbre pour être la première à avoir fait un triple axel...
Par
le 19 févr. 2018
34 j'aime
2
LA VILLA (14,8) (Robert Guédiguian, FRA, 2017, 107min) : Cette délicate chronique chorale aux résonances sociales et politiques narre le destin de 2 frères et une sœur, réunis dans la villa familiale...
Par
le 30 nov. 2017
30 j'aime
4