Avant d’évoquer le singulier aspect formel d’Ana Arabia, il est intéressant de se pencher sur son propos. Le principe est élémentaire : nous suivons une journaliste venue interroger les habitants d’un quartier palestinien de Jaffa, en banlieue de Tel-Aviv, probablement destiné à la destruction. D’un témoin à l’autre, d’une confession à la suivante se construit un archipel de souvenirs, sur les illusions passées d’une possible cohabitation, notamment dans les couples judéo-arabes. La jeune femme écoute, suit, recueille, et offre ainsi au spectateur les paroles dernières d’oubliés de l’Histoire, modestes, blessés, mais fiers et debout.
Ana Arabia est donc particulièrement documentaire, très écrit, linéaire, sans autre intrigue que celle de la restitution par la parole : la question se pose donc de savoir ce qui le différencierait d’une pièce de théâtre, voire d’un reportage journalistique.
Plan séquence unique de 85 minutes, le film prend donc le parti d’un formalisme élaboré qui ne se perd pas dans la vanité d’une prouesse technique. (Le film fut tourné en 10 prises, la dernière fut la bonne). Lentement, la caméra suit la journaliste qui va entreprendre un long parcours dans un dédale de placettes, de maisons, de cours et de jardins, chaque lieu étant l’objet d’une pause et un tableau dans lequel se loge un ou plusieurs personnages qui prendront la parole. Alternance entre la marche et la pose, la cinématographie du film se constitue dans son absence de montage, et l’exploration d’un espace dont les façades décrépites et les dalles polies sont aussi loquaces que ses habitants.
Pari risqué qui n’évite pas toujours un statisme assez âpre, Ana Arabia tient ses promesses dans son désir de faire parler l’intime et faire éclore des histoires dans le giron anonyme d’un faubourg dénué de tout romanesque.