Une palme d’or appréciée par à peu près tout le monde, de François Bégaudeau à Ecran Large en passant par Lucile Commeaux, a peu de chance de me décevoir. Rajoutons à cela que Justine Triet fait le meilleur discours de nouvelle palmée depuis bien longtemps, je ne pouvais pas laisser passer beaucoup de temps avant d’aller voir ce film.


Anatomie d’une chute n’est pas ce pour quoi il est parfois vendu : un film de procès ou une sorte de thriller. L’affiche choisie par Justine Triet est d’une justesse confondante : nous y voyons un couple pris sur le vif. Une photo moche, une photo du quotidien, une photo de l’instant. La seconde affiche, choisie quant à elle par le distributeur pour la diffusion internationale, nous présente une vue plongeante sur un cadavre. Cet évènement, bien sûr central dans le film, n’est pourtant pas le sujet. Tout le film tourne autour de la notion de vérité et de la parole. Qu’est-ce que la vérité quand la seule possibilité de l’établir est par la parole humaine ? Y a t-il une vérité, ou plusieurs, qui parfois s’affrontent ? La vérité d’une personne est-elle celle du voisin ? Pour au final poser la question qui découle de tout ça : la vérité existe-t-elle ? Pour y répondre, Justine Triet nous emmène dans l’intimité du couple par le biais d’un procès qui petit à petit, n’arrivant pas à établir cette vérité recherchée mais introuvable, fait de plus en plus le procès de la possibilité du crime. Un procès qui devient celui de la morale contre une personne considérée comme déviante.


La réalisatrice montre avec subtilité que tout n’est que question d’interprétation et de subjectivité. Même la science, qu'elle soit physique (deux experts vont s’affronter sur deux théories diamétralement opposées) ou psychanalytique. Tout n’est plus que question de point de vue. Et d’ailleurs, nous sommes régulièrement transportés dans le point de vue de celui qui pourrait être la clé : l’enfant du couple. Le quasi (double) huis-clos qui nous est proposé est mis à mal par les incursions sporadiques des pensées de Daniel (Milo Machado Graner). Cette mise en scène est suffisamment rare pour améliorer le film sans l’alourdir. Et c’est aussi une grande force de cette réalisation : ne pas en faire trop, se concentrer sur l’essentiel, oser les ellipses. Et de sacrées ellipses. Entre les deux parties, un an passe et nous n’y reviendrons pas. Seul petit bémol, l’évolution de la relation entre l’avocat (Swann Arlaud) et Sandra Voyter (Sandra Hüller) dont nous aurions pu nous passer ou qui aurait pu être plus subtile.


La parole est l’élément le plus important du film et est magistralement travaillée. Sandra Voyter est allemande, elle parle anglais avec son fils et son mari. Justine Triet montre par ce geste (la parole) la façon dont elle est mise en difficulté par l’institution. Et oser, dans un film, faire de la parole le geste principal, c’est à mon sens un coup de maîtresse.


Bref, ce film, bien que très économe, est une grande réussite. Peut-être pas le plus impressionnant du moment, mais une maîtrise parfaite de la parole au cinéma.


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ManuMcintosh
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le 21 sept. 2023

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