Le grand procès des petites fractures

Anatomie d’une chute est puissant et saisissant. Justine Triet réussit à mettre en œuvre le talent particulier qu’elle a montré dans l’étude des jeux de pouvoirs et des rapports de force pour montrer comment les liens familiaux se tendent et se distendent autour du problème urgent de la confiance. Les liens de confiance sont toujours remis en cause, que ce soient entre une mère accusée du meurtre de son mari et son fils malvoyant qui prend une place trop grande pour son âge ou ceux d’un couple qui s’effondre, étouffé dans un grand espace. Ce sont même ceux entre un avocat et la femme qu’il défend.

Prendre le sujet du procès et de l’enquête pour montrer l’intimité profonde des sujets d’analyse était une démarche balisée, et si ici l’on n’a qu’en arrière goût le sentiment d’avoir un peu mieux compris ce qui fonde l’humain et ce qui lui fait perdre pied, c’est parce que la tension processuelle prenait souvent le pas sur l’étude de mœurs.
Pourtant, c’est bien au rythme de confessions toutes rousseauistes (les moments de mise en abyme qui exploitent le film dans le film rendent compte du caractère medical - et oppressant - de ces introspections forgées) que le film progresse.

Ainsi, derrière l’excellent film de procès porté par un choix d’acteur absolument juste et brillant, l’on reste saisi en se retournant sur les émotions ressenties devant ce film. Au terme de celui-ci, chaque spectateur a entrepris, aux côtés de la réalisatrice, de l’avocat et du parquet, sa propre anatomie de cette chute. Nous avons tous été empiristes, et pourtant l’angoisse de perdre l’autre, sa confiance ou son amour est encore prégnante.