Perdre au jeu
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Le titre est trompeur, et pourrait laisser croire à un documentaire sur l’effondrement du service public alors qu’en réalité , il s’agit d’un thriller psychologique qui revisite le film de procès. Anna et Tommy (ou plutôt Sandra et Samuel) sont dans un chalet. Tommy tombe de la fenêtre du grenier, le nez dans la neige, comme un vulgaire présentateur télé ou un oligarque russe. Accident, suicide, ou meurtre ? Cherchez la femme, pense le juge instructeur, d’autant plus que Sandra était la seule à se trouver sur les lieux, que certains éléments factuels semblent contredire la thèse de l’accident, et que Daniel, le fils malvoyant du couple, qui a découvert le cadavre de son père de retour de promenade avec son chien, a la mémoire qui flanche …
De ce « crime » sans témoin, on accuse donc l’épouse, écrivaine à succès, femme forte et assurée, à la sexualité libre, et de ce fait coupable, forcément coupable. On en arrive même, à force de chercher des preuves qui n’existent pas, à trouver dans ses livres des clefs, des indices annonciateurs du crime, comme si la fiction, au lieu d’être nourrie par le réel, l’alimentait...
On compte alors sur le procès pour établir la vérité des faits. Mais au fil des auditions où enquêteurs, experts, témoins indirects se succèdent à la barre, le prétoire devient scène où chacun joue un rôle dans la construction d’une vérité issue de la confrontation de vérités plurielles (à chacun sa vérité, les experts eux-mêmes se contredisent avec une égale force de conviction.)
Délaissant les habituels plans fixes, la caméra de Justine Triet se joue des codes en vigueur et passe d’un personnage à l’autre, filmant les visages en gros plan pour tenter de cerner la vérité des êtres, en vain. Progressivement, ce n’est plus la chute d’un homme que l’on autopsie, mais celle d’un couple que l’on dissèque, tandis que s’effondre la fiction du couple idéal que tentait d’imposer Sandra, à l’image de la balle de Snoop le chien dévalant marche à marche l’escalier du chalet dans la séquence d’ouverture. Paradoxalement, c’est de l’enfant malvoyant – peut-être un peu trop mûr pour ses 11 ans – que viendra la clairvoyance, et de son témoignage tardif que surgira, non pas La vérité, mais Une vérité plausible. C’est en effet une des grandes réussites du film, que de réussir à garder une forme d’opacité, de profondeur, d’ambiguïté à tous les personnages, à commencer par celui de Sandra, formidablement interprété par Sandra Huller (tous les acteurs sont bons, et même le chien Messi, qui mériterait la baballe d’or, ou un os -car). Le film, à la précision chirurgicale, fourmille de bonnes idées de mise en scène, comme l’utilisation d’une bande son intradiégétique – à l’intérieur de la fiction – qui se met au service de la narration : le prélude de Chopin de mieux en mieux maîtrisé par Daniel est utilisé par exemple comme marqueur temporel pour scander le temps qui s’écoule.
Contrairement à ce que pourrait laisser entendre son titre, « Anatomie d’une chute », palme d’or à Cannes, est peut-être le meilleur film français de l’année.
Créée
le 4 sept. 2023
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