Le documentaire est passionnant, surtout pour les Français qui connaissent mal l’histoire de la « Valle de los caidos », littéralement, vallée de ceux qui sont tombés. Le terme désigne un monument espagnol gigantesque situé dans la vallée de Cuelgamuros, à 50 km au nord-ouest de Madrid et édifié à l’instigation du général Francisco Franco (1892-1975) pour rendre hommage aux combattants nationalistes morts pendant la guerre civile espagnole (1936-1939). Après une introduction faite d’images d’archives en noir et blanc, le film est constitué principalement d’interviews d’historiens et d’anciens prisonniers politiques ou de leurs descendants. On y apprend que le projet est imaginé par Franco dès 1939, pensant que la construction ne durerait qu’une année alors qu’elle ne s’achèvera qu’en 1959. Il s’agit d’un projet considérable, aussi haut que les pyramides d’Egypte, à la gloire des franquistes et rivalisant avec le site royal de Saint-Laurent-de-l’Escurial ou Escurial, situé sur la même commune, à 1 065 m d’altitude. Ce dernier qui héberge un palais, un monastère, une bibliothèque et un musée, a été commandé par le roi Philippe II (1527-1598), d’une part en l’honneur de sa victoire de Saint-Quentin (Aisne) sur les troupes du roi de France Henri II (1519-1559), le 10 août 1557, jour de la Saint-Laurent et d’autre part, pour élever une sépulture à ses parents, Charles Quint (1500-1558) et Isabelle de Portugal (1503-1539) ainsi qu’à lui-même et ses successeurs. Les travaux ont aussi été gigantesques (1 500 ouvriers pendant 21 ans). Monument national catholique, Franco en signe le décret de construction en 1940 : il sera doté d’une croix gigantesque de 150 m de haut (avec le socle), la plus haute du monde, plus grande que la statue du Christ Rédempteur du Corcovado à Rio-de-Janeiro (édifié en 1931 et haute de 38 m avec son piédestal) ou de « La Liberté éclairant le monde » à New-York (datant de 1886 et mesurant 93 m, socle inclus). Pedro Muguruza (1893-1952) est retenu comme architecte et une loterie, du 5 mai, est choisie pour participer à son financement. Tombant malade, il est remplacé par Diego Méndez, recommandé par la femme de Franco [Carmen Polo (1900-1988)] et qui se chargera de l’édification de la croix, ornées de statues, 4 évangélistes et 4 vertus cardinales (représentées par des hommes). La basilique est creusée dans la roche sur 262 m de longueur (la nef de St-Pierre de Rome mesure 186 m) et au-dessus de la croisée du transept, s’élève une coupole de 42 m de diamètre et revêtue de mosaïques (5 millions de tesselles). Dans la crypte se trouvent des statues d’anges dotés d’épée (d’où le titre du film). On apprend que 771 prisonniers républicains y ont travaillé (recevant 0,50 peseta / jour), loués par l’Etat à des entreprises (dont celle, catalane, de José Banús). Il n’y eut pas de morts parmi les prisonniers pour la construction de la croix car ils étaient déjà partis (des volontaires libres ont également participé au chantier). La nourriture non livrée aux prisonniers était revendue au marché noir et il y eut peu d’évasions [44 évadés mais seuls 2 ont réussi à gagner la France via Barcelone, grâce à Barbara Mailer Wasserman, sœur de l’écrivain américain Norman Mailer : Manuel Lamana et Nicolas Sánchez Albornoz, deux étudiants condamnés aux travaux forcés pour avoir tracé des graffitis sur les murs de leur université en 1948] car la participation au chantier se traduisait par une remise de peine et que le peuple espagnol, à l’époque, vivait dans un immense camp de prisonniers. En 1958, le site devient un mausolée pour l’ensemble des combattants de la guerre civile, pourvu qu’ils soient catholiques. Le nombre de corps transférés est estimé à 33 850 dont 12 000 inconnus (voire même la moitié), souvent malgré le refus des familles ou sans leur consentement. Pour ces dernières, cela constitue une seconde humiliation, considérant que leurs proches ne sont pas tombés (caidos) mais ont été assassinés par les franquistes. En 1959, le cercueil de José Antonio Primo de Rivera (1903-1936), cofondateur de la Phalange espagnole (organisation nationaliste d’obédience fasciste) et qui est devenu le 1er martyr du régime franquiste, exécuté à Alicante le 20 novembre 1936, 4 mois après le début de la guerre civile, est transféré sur le site (après avoir été enterré à l’Escorial). Des bénédictins s’y installent et un film y est même tourné par l’américain Samuel Bronston (1908-1994), probablement lors de son installation à Madrid où il produisit « Le Cid » (1961) d’Anthony Mann. Des chefs d’états ont visité le mémorial tel Dwight Eisenhower (1890-1969), 34e président des Etats-Unis (1953-1961) lors de sa venue en Espagne en 1950 en pleine guerre froide (l’Espagne a bénéficié du plan Marshall). Le film, qui milite pour que le site soit un lieu de mémoire, a le mérite de montrer la nature et la spécificité du franquisme qui s’appuie sur l’armée et l’église, un catholicisme national, imprégné d’un esprit de croisade et d’hispanité. La guerre civile est encore un souvenir douloureux en Espagne (tout comme la guerre d’Algérie en France). En 2018, le gouvernement socialiste de Pedro Sánchez signe un décret concernant le transfert du cercueil de Franco pour le cimetière du Pardo à Madrid (où est enterrée sa femme) et qui s’est réalisé le 24 octobre 2019. Même si la cause des Républicains et du réalisateur est juste, on peut regretter l’absence de témoignages de phalangistes ou de membres du clergé, à titre contradictoire (à moins qu’ils n’aient refusé).