Le Désert du réel
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le 18 mars 2023
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Long-métrage d'animation de Peter Chung, Andrew R. Jones, Yoshiaki Kawajiri, Takeshi Koike, Mahiro Maeda, Koji Morimoto et Shinichirô Watanabe (2003)
En terminant cette succession de court-métrages, je me suis posé deux questions :
Pourquoi ai-je attendu 15 ans pour regarder ce truc ?!
Comment les Washovsky ont pu passer de Matrix à Jupiter Ascending... ?
La deuxième question m'a un peu plongé dans la vanité de la mise en abyme. Une mise en abîme tellement vaine que je ne sais même pas si je vais réussir à l'expliquer. Mais essayons. L'agilité vient avec la pratique, et la tentative, je crois.
Dans Animatrix, un des courts développe une question déjà abordée dans le premier film de la trilogie. Dans Matrix 1, un type sans cheveux avec un bouc déguste un steak face à un agent, et parle du goût. Il aimerait oublier que la matrice existe, pour l'intégrer à nouveau, et à nouveau profiter des steaks saignants virtuels, sans les soupçonner. Privilégier l'artificielle à l'authentique, par facilité, au risque de sentir quelques sensations grincer par moments.Ce désir, je le comprends. Il n'y a selon moi pas vraiment de bons choix dans cette histoire.
Le fait est que ce genre de questionnements est bien plus développé dans les court-métrages. Là où la trilogie Matrix se focalise principalement sur la guerre, et la mission - et la compréhension de ce qu'est l'élu, forcément dépendante de la mission - Animatrix s'intéresse à l'univers. Les court-métrages dévoilent beaucoup et, surtout, ils s'autorisent la digression. La plupart des court-métrages sont des digressions en fait, des histoires impossibles à placer en tant que telles dans la structure d'un long-métrage sans créer une impression de coq à l'âne (cf Valérian, pour notre plus grand plaisir). Le long-métrage nous suggère des questionnements, dans des interpellations fugaces, qui foisonnent, et qui nous inondent un peu. La trilogie Matrix m'amène régulièrement à raisonner. Sur l'univers (le monde, et la métaphore de la matrice...), sur les motivations des personnages, sur leurs choix, sur la politique, sur la philosophie... mais elle me laisse un peu seul dans le bouillon d'idées. Elle me laisse comme ces personnes qui doutent au sein de la matrice, qui voient des signes, mais qui auraient besoin d'une intervention, d'une main tendue, pour comprendre les intuitions qu'ils ont du mal à matérialiser. Et les court-métrages de Animatrix sont un peu ses interventions. Comme des coups de fil anonymes, soudains, évidents, brefs, qui te disent clairement ce que tu savais déjà. Qui mettent le doigt exactement sur ce que tu avais déjà aperçu sans le penser, pour élargir définitivement ta vision des choses.
Et les court-métrages qui m'ont le plus élargit le champ sont ironiquement ceux qui se focalisaient le plus sûr des histoires anecdotiques. Des expériences de questionnements et de dépassements individuels - le lycéen skater et le coureur notamment. Dans ces deux courts, on assiste à des micros transgressions de la matrice, sévèrement contrôlées par les agents. Et ce que j'aime dans ces deux courts, c'est de voir cette transgression se passer d'abord dans autre chose que le combat et la révolte. C'est d'abord dans la course à pied, et dans le skate. D'autres à travers l'informatique. D'autres sûrement à travers l'écriture. C'est l'idée que les « petites » passions - les « petits » loisirs - nous libèrent et nous nourrissent, et qu'elles peuvent de manière très surprenantes nous amener vers une intuition plus générale, voir peut-être vers une toute petite compréhension. De qui on est et de comment fonctionne les choses, au-delà de ce que l'on expérimente. Et dans Matrix - et notamment, encore une fois, dans les courts du skate, du coureur et de la chatte perdue - l'astuce jouissive, c'est que ces petites compréhensions subtiles rendent les personnages plus habiles, en général, dans des gestes quotidiens très spécifiques, très banals... c'est une résonance qui s'établit entre les loisirs, les petites nécessités et la perception du monde, sans aucun buts idéologiques ou autre. Sans combat - au départ en tout cas. Juste la tentative attentive, au service de la compréhension de ce qui nous entoure, pour débloquer en retour des choses en soi. Des choses personnelles. Pour tenter à nouveau, et, dans la Matrice, faire des découvertes (puisque le dépassement modifie la matrice). Des découvertes qui seront confirmées (puisque la Matrice régule le dépassement, avec ses Agents qui apparaissent comme des confirmations).
Mais faire des découvertes, ça implique de les supporter. Je me dis que peu de personnages ont refusé la pilule rouge, ce n'est pas possible, la curiosité est trop forte. Mais j'ai beaucoup aimé les questionnements, sur la difficulté d'accepter la vérité, notamment dans le courts en version Samouraï. Et du coup c'est là que la mise en abyme s'opère. Parce que il y a un moment je me suis dit « il est fou cet univers. Comment c'est possible de réaliser des daubes derrière ça. Être aussi mauvais après avoir été aussi bon, c'est presque surnaturel... ». Et j'ai vraiment eu cette sensation, que les Wachowskis, artistiquement, ont goûté à la pilule rouge il y a 15 ans. Mais qu'une fois leur œuvre réalisée, ils ont progressivement souffert de ce que ça impliquait. Et que, petit à petit, ils ont voulu retrouver la légèreté du surfait. Jusqu'à s'y réfugier, confortablement. Ce qui, de mon humble avis, est tout à fait compréhensible.
BONUS:
Je ne résiste pas à citer une critique de Sense 8, de la part d'un membre triangulaire. Parce que cette ciitation pose la question que j'ai perçue comme une intuition. La question des connexions qui se font entre les œuvres dans l'art, comme elles peuvent se faire entre la matière et l'esprit, entre les petites et les grandes choses aussi, entre le skateboard et la révolution, dans la matrice.
« Parfois il n’en faut pas beaucoup au spectateur/critique pour lier deux œuvres. La justesse supposée de son raisonnement n’est alors qu’un cocktail entre la manière dont il parvient a exprimer son ressenti, le ressenti de ceux qui le lisent et leur volonté d’être transporté au delà de la zone de confort naturel de leur espace réflexif. Comment un frisson, une excitation, une larme, une émotion peut se transformer en intuition ? Quelle sont les impressions communes entre les cinéastes à travers le monde ? Pourquoi le spectateur peut juger nécessaire de tisser des liens inédits entre différentes œuvres n’ayant, en apparence, rien de commun ? »
Le lien de la critique:
https://www.senscritique.com/serie/Sense8/critique/132887963
J'espère que le triangle me pardonnera l'audace!
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Créée
le 18 sept. 2017
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