Projeté en ouverture du festival de Cannes et lauréat du prix de la mise en scène, Annette est une comédie musicale atypique, qui, même si on ne la comprend pas entièrement, marque les esprits par sa puissance poétique, son côté expérimental et ses chansons entêtantes. Cet opéra rock franco-américain explore les coulisses peu reluisantes du monde du spectacle par le biais d'un couple glamour d'artistes vivant sous le feu des projecteurs : lui est comédien de stand-up et elle chanteuse lyrique. Deux univers qui convergent vers la même quête de reconnaissance et d'amour. Mais leur épanouissement respectif se voit chamboulé par la naissance de leur fille, Annette, au don tout aussi mystérieux qu'exceptionnel. Après dix ans d'absence, Leos Carax fait son retour avec une oeuvre étrange, sensitive, magique, tragique aussi... Pour être honnête, Annette est si démesuré et surprenant, déjouant tous les codes du genre et les attentes du spectateur, que je ne me posais même pas la question de savoir si j'ai aimé ou non. C'est une véritable proposition, dérangeante par moment, magnifique à d'autres, qui ne laisse pas indifférent. Je comprend tout à fait qu'on accroche pas avec cette univers si particulier, si pictural voire grotesque. Mais au plus profond de moi, je ne peux que reconnaitre la prouesse visuelle et la façon dont le réalisateur bouscule ses personnages de la lumière à l'ombre la plus ténébreuse. Les décors animés de Los Angeles se disloquent et laissent place à l'avidité et à l'égoïsme grossissants de son personnage principal. Sous une myriade de symboles et de métaphores, j'ai lu en Annette un récit fait de dualité où les démons de l'un nuisent au lit nuptial et à l'équilibre romantique. La passion devient funeste, les êtres aimés sont au bord du gouffre et leur rôle de parents va clairement les transformer profondément. Monstruosité, art, justice, échec, pouvoir, deuil, mégalomanie, MeToo, maltraitances, abus... Chacun projette dans Annette ce que son inconscient veut bien y projeter et c'est pour cette raison que le film est aussi clivant. Pour ma part, cette chute, racontée en mélodies, m'a rappelé les tragédies grecques, entre touches fantastiques, farces et fatalisme. Malgré quelques longueurs, Annette interroge, fascine et perturbe. Adam Driver, en écorché vif intenable et Marion Cotillard, en déesse lumineuse et parfaite, campent cet amour si cruel et blessé. Et, détail important, les deux se sont prêtés au jeu de chanter en live. L'engagement n'est pas le même. L'urgence et l'intensité sont, je trouve, palpables. Enfin, Annette est une oeuvre à découvrir sans hésiter sur grand écran car elle promet un spectacle d'envergure à l'esthétique peaufiné, un art total déroutant et révolutionnaire !