Chronique : Ma dernière (et unique) expérience du cinéma de Leos Carax était jusqu’à présent Holy Motors, un souvenir en tout point détestable.
Mais Annette m'a littéralement happé. Dès sa formidable introduction très brechtienne, l’appréhension s’est envolée. Sur l’hymne entêtant « So may we start » des Sparks, que vous aurez très longtemps dans la tête, les acteurs, équipes techniques, musiciens, Carax lui-même, se mettent en ordre de marche pour nous raconter l’histoire de Ann, Henry et leur petite fille si spéciale, Annette.
L’étrangeté et la flamboyance de cet aparté préliminaire n’est qu’un avant-goût d’une mise en scène affolante, outrancière, gavée de cinoche et de moments étourdissants mêlant théâtre, opéra et musique rock.
Mais ces effets ne sont pas vains, ils se télescopent pour raconter avec cohérence ce conte lugubre, une histoire d’amour, d’abus et d’égo. Des sujets aussi intemporels (la passion, la jalousie, la mort), que contemporain (la woke culture, #metoo, les affres de la célébrité), que Carax peut traiter avec la hauteur que lui permet ce format distancié.
On doit cette richesse au lyrisme de la partition musicale des Sparks, à la maestria de Carax mais également au charisme des comédiens qui interprètent le couple maudit. Cotillard et Driver sont des acteurs fascinants, protéiformes, des stars de cinéma au sens noble, icônes idéales pour incarner Ann et Henry. En revanche, ce ne sont pas de très grands chanteurs, ce qui constitue un écueil qu’on peut difficilement ne pas évoquer. Le film n’est donc pas sans défaut, il est sans doute un peu trop long aussi (les passages de one man de Henry) et les dialogues chantés ne sont vraiment pas ma tasse de thé (doux euphémisme).
Mais rien qui ne puisse vraiment entacher l’expérience sensitive unique qu’est Annette, ni effacer le sentiment d’avoir vu (et entendu) un gros morceau de cinéma, pensé et exécuté comme tel. C’est suffisamment rare pour que ce soit vraiment marquant.

Thibault_du_Verne
8

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Créée

le 12 juil. 2021

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