Annette, c’est la tentative de définir le rapport entre l’art et l’amour, deux notions déjà indéfinissables. C’est donc le récit d’un échec annoncé.


Deux artistes aux approches différentes : une chanteuse lyrique surdouée, explorant sa propre nature à longueur de représentations, et un humoriste désabusé au point de générer lui-même avec routine les réactions d’un public déjà conquis sans difficulté. L’une fait spectacle toujours inédit de sa rencontre avec elle-même, tandis que l’autre tourne en rond sur son propre nombril répondant à l’attente de consommateurs venus « payer pour rire ». Rien ne saurait destiner ces deux opposés à se fondre en duo, mais l’amour, certainement généré ici par le réalisateur, présent en amorce du film, annonçant l’expérience filmique à venir, leur créé un chemin.
Eux-mêmes ne semblent pas réellement comprendre cet attrait surnaturel, comme le soulignent les paroles de la chanson revenant comme un métronome « we love each other so much », joyeuse et mélancolique, mais dont certaines variations de notes appellent, sans crier gare, au chaos et à la désolation.


A l’image du personnage que l’on devine finalement seul principal (contrairement à ce que pourrait laisser croire la promo ou simplement le bon sens de spectateur), le film ne parvient jamais à trop se pencher sur le personnage de Marion Cotillard, revenant sans cesse sur les démons et préoccupations intérieures de celui d’Adam Driver, uniquement à travers son regard à lui, dont l’art pervers et narcissique reflète sa propre personnalité. Son nom et son prénom ne font d’ailleurs que se renvoyer la balle (Henry McHenry). Il verra sa fille évidemment comme une poupée, objet de vie, objet de peur, objet de vanité, objet de possession.
Nous assistons au long du film à l’échec cuisant d’Henry à user de son amour pour nourrir son art, s’inspirer des êtres qu’il chérit pour magnifier son propos. Il ne comprend pas. Son amour de l’autre n’est qu’illusion, lui n’étant porté que par son image et la jouissance de cette possession. Lorsqu’il amène sa nouvelle famille dans son univers artistique, en faisant mine sur scène d’avoir tué sa femme de chatouilles (scène parmi les plus extraordinaires du film), son public qu’il croyait pourtant maîtriser ne se plie guère à cette fantaisie. Puni pour sa malhonnêteté. Pour lui, l’art et l’amour ne peuvent mener qu’à la mort, en témoigne le rêve morbide où il s’assoit sur sa fille, mais surtout sa propre mort, car il ne peut exister que pour lui-même, son propre reflet lui est vital. Ne comprenant comment accepter ses sentiments, il jalouse sa femme, qui, elle, semble réussir à associer ces deux notions que lui croit (que nous, spectateurs, croyons aussi, à ce moment du film) indéfinissables. C’est là qu’entre le surnaturel : lorsqu’un lien fantastique nait entre la mère et sa fille, comme si l’art ne pouvait finalement se transmettre que par l’amour réel. L'art est-il génétique ?


Le final est d’un déchirant rappel à la vérité, la poupée prend vie, s’affranchit de son créateur auto-proclamé, pour lui rappeler ses méfaits, à quel point il n’est pas ce qu’il s’évertue à croire qu’il est. Le crime « passionnel » est le crime d’un imposteur, d’un homme qui a cru, qui a prétendu, aimer. « If you don’t love, you’re nothing. » Ce duel tant improbable qu’imparable, mystique et désarmant, rappelle le spectateur à la cruauté du personnage, de son échec et de son infâme vision, il est une passation de pouvoir entre la perversité et l’amour, entre le cynisme et l’art, le vrai. Il est une réponse à ces artistes qui se complaisent dans la noirceur, disant se sentir attirés par les abysses, mais qui ne font que se morfondre dans le confort du nihilisme, déçus de ne pas croire en l’amour, persuadés de son inutilité tant ils l’ont trop longtemps attendu en vain. Ils n’ont en vérité jamais su l’accueillir, probablement par la peur de se mettre en danger, par la peur de se voir changer, par la peur de s’offrir, par la peur de n’être qu’humains. Tout l'inverse de ce que Léos Carax a tenté d'exprimer au cours de ses films.


« You don’t have anything to love now. » Chaotique, cette musique. Désolante.

Créée

le 15 juil. 2021

Critique lue 332 fois

Franky Latuile

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