Que raconte le film, avec autant d'économie sur le réalisme et la vraisemblance que d'excentricité visuelle ? Splendeur et misère du show-business ? Vie et mort de la cellule familiale ? Mise en abime facétieuse de la comédie musicale ? Un peu de tout ça.

Le film commence par sa propre déconstruction. Sparks entame le premier morceau « So may we start ? » qui résonne comme les trois coups d’une pièce de théâtre. Puis tandis que la musique continue, le groupe quitte le studio où le morceau est enregistré. Du pseudo direct live, on passe au play back avec une fluidité parfaite. Le casting du film rejoint Sparks -et chante avec eux- pour une déambulation dans les rues de Los Angeles, jusqu’à la dispersion des foules. La voix off D’Henry entame son récit rétrospectif. Mais où et quand le film a-t-il commencé ?

Remontons dans le temps : Anne, une diva chante et meurt tous les soirs, seule sur scène. Henry, seul en scène, mène un combat cynique et violent face à un public qui lui ressemble beaucoup. Anne et Henry, au sommet de leur gloire respective s’unissent « we love each other so much » et conçoivent un enfant, Anette (« petite Anne »). Seulement, Annette est un pantin. Littéralement. Tout la suite du récit, aussi virtuose et sublime soit-il, sera soumis à ce postulat : l’histoire d'amour entre la diva et le divin provocateur, la beauté de l'art (le "musical"), l'exigence du spectacle vivant, l’étrange parentalité des stars, l’omniprésence des médias, le ressentiment du pianiste accompagnateur ombragé, le public avide...
Bien vite les masques tombent, Henry trouve son démon intérieur (jalousie et fascination de l’abîme) et révèle celui d’Anne (bonté d’âme et sacrifice) et le drame advient, le couple fait naufrage. Anne revient hanter Henry sous forme de démon asiatique mais Annette se révèle plus envoûtante encore que sa mère. Le troisième tiers du film raconte donc comment Henry livre sa propre fille à un public fasciné.

Jamais Carax ne nous laissera la moindre possibilité d’entrer en empathie avec Henry, jamais il ne nous laissera penser qu’Anne pourra s’extraire de cette histoire d’amour toxique, à peine concède-t-il une furtive fragilité dans le personnage d’Annette, tout pantin qu’elle soit. Les artistes sont livrés à la fureur d’un public parfois ouvertement malveillant (Las Vegas).
Aussi la mise en scène est-elle superbe, à l’image de la maison du couple, tout droit sortie d’un conte de fées moderne. Où l’on l’insiste sur certains éléments comme autant de fusils de Tchekhov (la piscine, la lampe de chevet). Tout semble factice et prêt à s’effondrer. Tout semble attendre que tout sombre.
La fin du film opère sur le même mode que l’ouverture. Le film en plein tournage est capté par une caméra qui s’élève dans les cieux, comme un regard détaché de tout jugement, de tout poids moral.

Outre une expérience visuelle et sonore très riche, le film, en refusant la liesse populaire et la légèreté du genre amène la comédie musicale en terre inconnue.

Ozano3000
9
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le 23 juil. 2022

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Ozano3000

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