Le site est de retour en ligne. Cependant, nous effectuons encore des tests et il est possible que le site soit instable durant les prochaines heures. 🙏

Critique à chaud, après un unique visionnement… Découvert sur le catalogue de MUBI, suite au visionnage très réjouissant de Kaïro, Cure entretient avec ce dernier des conversations secrètes. 

Kurosawa est à présent reconnu comme un réalisateur majeur de la période post-classique (j’imagine qu’on peut risquer le mot « moderne »), qui a oeuvré à la renaissance du film de genre, avec d’autres garçons de sa génération, dont Hideo Nakata (Ringu, Dark water) et Takashi Miike (Audition). On retrouve dans Cure un thème important : une enquête sur les causes inconnues d’un Mal manifesté dans le quotidien le plus trivial (un Tokyo déshumanisé quasi désert). 

Avec un pays aussi emprunt de traditions et de traumatismes que le Japon, c’est un terrain de jeu sans fin qui s’ouvre au début du film. 

Le scénario se concentre sur l’enquête d’un policier au bout du rouleau, harassé par la maladie psychique de sa femme. Il tente de résoudre une affaire d’agressions étranges, ou victimes et coupables sont retrouvés sur les lieux du crime. Le criminel, conscient de ses actes souffre toutefois d’une profonde amnésie quant au mobile du crime, et exprime même ses regrets. Le même motus operandi se décalque sans qu’un lien ne soit établi entre les victimes, jusqu’à l’arrestation d’un « chuchoteur », expert en l’art de la suggestion hypnotique. 

L’intrigue, un peu confuse à la fin, ne présente guère d’intérêt pour elle-même, mais offre à la mise en scène tout son pouvoir de suggestion et de fascination. Les ambiances sont soignées tant par le traitement de la lumière (éclairage au noir dans les scènes d’intérieur au suspense intense) que le design sonore (l’espace est continuellement envahi de sons hors champ qui parasitent la perception visuelle des scènes). Le film explore justement l’altération de la conscience, et donc de ses outils de perception : les cinq sens. On notera, dès le début du film de nombreuses scènes où les personnages réfléchissent et discutent sur le toit du commissariat, dominant toute la ville. Leur position suggère qu’il dominent la situation alors qu’ils avancent à l’aveugle sans l’ombre d’une piste. Par opposition, la fin du film qui apporte un peu résolution se déroule dans des lieux clos sous éclairés, solitaires. Par ailleurs, de nombreux plans subliminaux ou oniriques interviennent soit pour brouiller les pistes, soit pour élucider certains points de l’intrigue.

On perçoit des dispositifs qui seront plus tard la marque de fabrique de Kurosawa, comme le face à face qui présente l’adversaire hors champ, puis l’intègre par une saute d’axe brutale. Le film expérimente aussi les espace intérieurs surdécoupés, dont certaines parties laissées dans l’ombre révèlent finalement des clés de compréhension de la scène. Des effets d’annonce parsèment les débuts de séquence, pour venir résonner plus tard (le motif de Barbe Bleue). Kurosawa utilise des rideaux de plastique transparents déforment la réalité puis la révèlent. Enfin, le plus réjouissant est l’utilisation des différentes échelles. Les séquences commencent souvent par des plans larges, qui disposent les personnage au bord du cadre, comme des étrangers peu enclins à se rencontrer. Grâce à des plans de plus en plus rapprochés, se créé une forme d’empathie pour eux. Enfin, le retour au plan large ajoute un élément insolite, qui fait relire la séquence sous un tout autre jour (l’auscultation de Kunio Mamya à l’hôpital ou à la visite de Takabe à Sakuma).

Dernier attrait du film, quasi méta, la découverte d’un document vidéo qui atteste l’existence de pratiques occultes liées à l’hypnose. Comme dans Ringu ou Kaïro à venir, la technologie offre son ambivalence entre témoignage d’archive et dévoiement du pouvoir de l’imaginaire. Chaque spectateur devient un agent potentiel du message qu’il vient de voir. Il agit ou transmet le message perçu, sans limite de temps ni d’espace. Le Mal se propage donc comme un virus, passant d’un hôte à l’autre sans possibilité de l’empêcher. 

Ce message aussi est à double détente car il concerne le pouvoir de la création (le réalisateur) comme celui de la destruction (grand spectre culturel du Japon après la chute de l’Empire en 1945). Ces derniers éléments ne se trouvent pas du côté de la fiction mais vieb de la réalité, ce qui laisse penser que le monde des spectres, très présent dans la J-Horror naissante ne renvoie pas forcément à un sous-monde de fiction mais bien à la réalité du spectateur, comme le suggèrent David Lynch et Mark Frost dans la saison 3 de Twin Peaks.

Au final, un très bon film policier détourné au profit d’une réflexion sur le Mal et ses agents embusqués dans notre mièvre quotidien qui accompagne / annonce une vague de films de genre japonais au tournant des années 2000. 

Ozano3000
9
Écrit par

Créée

le 31 août 2022

Critique lue 16 fois

Ozano3000

Écrit par

Critique lue 16 fois

D'autres avis sur Cure

Cure
Velvetman
8

Cure

Cure est une œuvre opaque, au pessimisme ténébreux, foudroyante de beauté et de singularité, un triller faisant flirter une réalité sociale mutique avec un genre fantastique épuré et oppressant. Il...

le 28 mai 2014

61 j'aime

1

Cure
Vivienn
10

Y2K

Le cinéma japonais semble depuis longtemps persister à écrire une histoire fictive de la destruction. Il ne s’agit pas de la pyrotechnie d’Hollywood, à base de boum et de bang, mais d’une certaine...

le 28 mars 2014

34 j'aime

9

Cure
SanFelice
8

Histoire de fantôme japonais

Cinquième long métrage de Kiyoshi Kurosawa, Cure est le film qui fera connaître en Occident ce cinéaste si particulier, réalisateur, par la suite, de film aussi surprenants que Kaïro, Charisma ou...

le 25 juil. 2021

21 j'aime

3

Du même critique

Cure
Ozano3000
9

Leçon de ténèbres

Critique à chaud, après un unique visionnement… Découvert sur le catalogue de MUBI, suite au visionnage très réjouissant de Kaïro, Cure entretient avec ce dernier des conversations secrètes. Kurosawa...

le 31 août 2022

After Blue (Paradis sale)
Ozano3000
7

Les filles sauvages (titre envisagé)

After BlueAlors c’est quoi le dernier film de Mandico ? un énième road movie sur un prétexte vengeur (western) ? ou plutôt une histoire d’exil de la Cité en raison d’une faute commise et qui doit...

le 23 juil. 2022

Le Prénom
Ozano3000
4

Monnaie de la pièce

Voici un scénario simplissime, une mécanique très bien huilée, des dialogues le plus souvent mordants... mais AUCUNE mise en scène. Ni véritable huis-clos (il y a une scène en flash back onirique qui...

le 19 févr. 2022