After Blue
Alors c’est quoi le dernier film de Mandico ? un énième road movie sur un prétexte vengeur (western) ? ou plutôt une histoire d’exil de la Cité en raison d’une faute commise et qui doit être expiée (tragédie grecque) ? ou alors le parcours initiatique d’une jeune fille qui devra « tuer la mère » (drame psychanalytique) ? on pourrait même envisager le scénario comme un survivor forestier en territoire extraterrestre (SCI/FI - soap opéra) ? Il y a même un aspect qui flirte avec le conte oriental (3 voeux exaucés).
Le film semble se tisser sur le patron encore trouble des Garçons sauvages, à l’image de cette plage chaotique et inquiétante qui ouvre le film. Imagerie plus radicale (fin du monde et du règne phallocrate) mais moins organique (que sont les cactus-turgescents devenus ?). Voici le monde des Garçons Sauvages, arrivé à mâturité, comme on nous le confirmera plus tard en retrouvant l’incandescence de Vimala Pons.
En bref, dans un monde ou les hommes ont disparu, les femmes, ont réformé la société en collectivités aux règles austères, aussi dures que la nature qui entoure les huttes de leur village. Une jeune femme et sa mère sont missionnées pour retrouver et éliminer Kate Bush, responsable de la mort de plusieurs femmes de la collectivité. La jeune Roxy, en proie à des bouffées de désir troublants nourrit un sentiment ambivalent à l’endroit de la meurtrière, pendant que sa mère, Zora, assujettie à son « statut » de coiffeuse du village, souhaite au plus vite retrouver une vie normale. La piste de Kate Bush les mène au coeur d’une forêt enchantée où l’imagerie du réalisateur fait merveille.
Outre un scénario plutôt convenu et parfois approximatif, c’est surtout la plasticité de Mandico que le film confirme. « Paradis sale » est bien le sous-titre programmatique du métrage. Véritable Eden pour les bricoleurs de l’image à l’ancienne, le film propose les superpositions lumineuses et les projections à la face que le réalisateur affectionne, et qui crée une image entièrement dévouée au sujet du film, c’est à dire, une sorte de décalcomanie d’un monde perdu. Quelle est la « perte » lorsque l’on lâche la proie pour l’ombre ? After Blue met en lumière la richesse de cette ombre. Tout semble dysfonctionner dans cet univers, à l’image d’un Androïd mâle aux envies suicidaires, ou d’une cow-girl aussi charismatique que dénuée de volonté propre. Jusqu’aux femmes qui constituent la communauté de Roxy et Zora, tout semble sur le point de disparaître à cause d’une asphyxie progressive.
Le film juxtapose des scènes savoureuses, comme autant de pastiches de films de genre. L’atmosphère à la fois sensuelle et dangereuse poisse dans tous les plans, mais l’on peine à trouver la ligne de fond du projet. Bien-sûr, les interrogations déjà sous-jacentes des Garçons Sauvages résonnent encore : l’humanité a-t-elle un sens hors de son creuset (la Terre abandonnée car devenue inhabitable) ; les femmes peuvent-elles construire ce monde sans les hommes dont elles ont si longtemps rêvé ? Kate Bush peut-elle mourir ? Comment devenir une femme dans un monde de femme ? Quelle est la texture du désir ? Mais Mandico prend bien garde de ne répondre à aucune, et laisse son univers opérer sa transformation, qui sera peut-être le point de départ de l’oeuvre à venir.
Le film déroutera sans doute les plus pointilleux scénaristes en herbe, mais il confirme
Bertrand Mandico et son statut à part dans le paysage audiovisuel français.