Auto-Annihilation
Après une belle série de ratés cinématographiques, débarque enfin le film Netflix le plus prometteur. Un projet SF avec Nathalie Portman, par un jeune réalisateur dont le premier film Ex Machina...
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le 13 mars 2018
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Bon.
Enfin un film qui fait réfléchir. Et quand on sait qu’il a été retiré du marché du cinéma à cause de cela … ça laisse songeur. Bref, passons. Passons même sur le côté technique du film, beaucoup d’autres personnes s’étant déjà livré à cela, je souhaite pour ma part me pencher sur les interprétations. Ce que je m’apprête d’écrire ne s’adresse donc qu’à ceux qui ont vu le film.
Il y a effectivement plusieurs niveaux de lecture. Mais que nous dit le film ? Passons en revue cela en commençant par la fin :
Déjà, que les personnages, Lena et Kane, sont « infectés », « contaminés », « changés », « mutés » … La difficulté de les nommer rend déjà compte de la subtilité. La nature même de l’élément perturbateur du film est complexe. Ce n’est pas un monstre, nous ne sommes pas dans The Thing, ni Alien, ni même un film de Zombies. Tout autre chose est à l’œuvre. Tout le propos du film est bien évidemment ici. A mon sens, le fait qu'on ne puisse pas décrire précisément « ces choses » révèle en réalité la nature exacte du processus. Une météorite qui tombe sur terre, la vie se répand, mute, tue pour survivre, évolue, vie, meurt ... Ce n'est que la vie. Il n'y a pas de but.
On demande énormément dans ce film « Pourquoi ? ». Ce à quoi tout le monde répond par « Je ne sais pas ». Il n'y a pas de but. Et je comprends que pas mal de gens puissent en être déçu. Mais il ne faut pas voir cela comme une erreur, ou une absence de justification/explication du réalisateur à la fin du film comme j'ai pu le lire. Selon moi, c'est une vraie motivation car l’objectif du film ne réside pas dans sa fin. Mais plutôt dans son principe. Notre monde, comme le miroitement, fonctionne de la même manière, de sa création, mythologique, à sa destruction. En passant par les mutations, le changement, le différent.
Ensuite, que les seules personnes qui sortent de ce miroitement, sont les deux personnes « infectées ». Et uniquement eux. Au passage, on ne sait pas comment Kane est sorti, même si j’ai une idée que je détaillerai plus bas. Donc, quand Lena dit qu'elle a survécu car elle devait revenir, c'est une formule, car on imagine aisément que tout le monde voulait plus ou moins revenir (hormis Shepard). Ou alors que si elle devait revenir, c’était dans un but d’achever sa mission nouvelle, la « contamination » du reste du monde ? Une autre lecture nous permet de penser que les deux qui survivent sont les « élus ». Les deux que le miroitement à choisi. Et là, on rejoint les lectures bibliques évidente, Adam & Eve, l’Arche de Noé, etc.
De plus, la thématique du cancer est omniprésente. Le film s’autorise quand même un plan intra-utérus comme base du « « « méchant » » » ! Cela faisant écho à de nombreux éléments, en commençant par le tout début du film, et un cours donné par Lena à ses étudiants sur un cancer … du col de l’utérus. Tout en rappelant la naissance, bien sûr, et en rappelant que toute vie commence par une mutation, ici c’est la mutation de Shepard qui déclenche ce dernier acte, pour nous montrer encore une fois l’interrelation de la vie et de la mort, et du cycle de la vie. Car comme nous le redit le film, lorsque ces mutations sont malignes, cela se transforme en cancer, mais quand elles sont bénignes, elles donnent des mutations et des transformations salutaires. Le film illustre cet aspect ambivalent de la vie avec ce monde fantasmagorique, partagé entre horreur et splendeur.
Enfin, la thématique de l’autodestruction. Annoncé à de multiples reprises dans le film, elle finit par se produire, là où l’on ne l’attend pas. Comme je l’ai entendu, la créature, déçu par la trahison de Lena, finit par singer le comportement des Hommes, jusqu’à sa pulsion d’autodestruction, la poussant à détruire son propre monde. Comme l’espèce humaine au passage. Le message écologique est présent dans ce film, à n’en pas douter, même s’il n’est jamais évoqué directement il me semble, ce qui est par ailleurs fort subtile, et bien plus efficace.
J'ajouterais quelque chose qui me tient à cœur. Ce n'est pas que l'Homme qui est sujet à cette pulsion d'autodestruction, c'est la vie en elle-même. Le crocodile ne fuit pas non plus, il fonce en terrain découvert alors que ses proies ne sont même pas au bord de l'eau au moment de son attaque, clairement, ce n'est pas une attitude très animale (ou je vais peut-être loin et on va me dire qu’on a déjà vu un crocodile faire cela), de même que l'ours, que je trouve particulièrement réussi, notamment l’idée de prendre le cri de ses victimes lorsqu’il leur dévore la gorge … c’est brillant, effrayant mais brillant. Ils meurent tous, ils ne se suicident pas, ils s’autodétruisent, comme tous les personnages du film. Et, comme je l’ai évoqué plus haut, même la créature s’autodétruit. Je pense que c’est trop facile d’en accuser encore une fois l’être humain. Même si je constate qu’il a une propension forte à l'autoflagellation, encore une fois, ça se confirme décidément, je ne pense pas qu’il faille voir cela comme étant à cause de l’Homme.
La fin ?
C'est un détail, mais à mon sens, le film n'aurait même pas dû nous montrer les yeux modifiés de Lena. On aurait compris sans cela. Par un procédé tout simple, le mensonge. Quand une des filles pète un câble et l'argumente en disant que si Lena a menti sur son mari, elle peut avoir menti sur autre chose. De la même manière, à la fin, elle ment en dissimulant la véritable nature de son mari aux scientifiques, le spectateur aurait pu donc envisager qu'elle mentait sur son identité propre également (et en même temps ça laissait une fin ouverte, car il était possible qu'elle soit la "vraie" Lena, et qu'elle veuille tout simplement revoir son mari, même modifié. Cependant, il est possible que le réalisateur n'ait pas voulu de cette ambiguïté).
Dès lors, et cela se passe dans le film, ses yeux attestent de sa nature « altérée », la scène dans le phare ne se passe peut-être pas comme elle le raconte. Si on réfléchit au fait que la créature réagit par mimétisme. Comment a-t-elle vu mourir Kane ? Par un suicide (encore), mais surtout avec une grenade qui l'a désintégré direct (au passage, la grenade a déjà explosé non ? Comment est-il possible qu’elle explose à nouveau ? Ou si s’en est une autre, elle serait restée intact après l’explosion ? Mouai hein… Le film a parfois des facilités d’écriture... Toutefois, il y a peut-être une raison, alors si vous l’avez, je suis preneur, comme pour tout le reste d’ailleurs). Elle a donc peut-être répété cela sur Lena, et mit le feu pour accorder du crédit à son récit, pour permettre de contaminer la terre en toute discrétion, alors qu’ils pensent que la menace est partie. Lena est morte dans le phare, comme Kane. Et les deux qui en sont revenus, sont leurs doubles modifiés, la nouvelle mutation de la vie, mais qui n'est pas mué par la destruction du monde comme on pourrait l'imaginer. Ils semblent plutôt désorientés, en perte de repère.
Le fait qu’ils, Lena et Kane, disent tout le temps « Je ne sais pas » est intriguant. Cela témoigne-t-il de leur nature modifié ? Ils n’ont pas tous les souvenirs de la personne qu’ils ont imité ?
Ça concerne un autre thème du film, la notion d’identité. Qui sont-ils ? Sont-ils eux comme avant ? (Pour Kane, la vidéo donne la réponse) Mais dès lors, sont-ils encore, au moins une partie, eux-mêmes ? Le film tend à donner cette explication, un entre deux, qui ne serait ni un être humain, ni la créature, mais un hybride, de deux espèces, une espèce nouvelle, issus d’une mutation. Ainsi, pour moi, c’est comme cela qu’il faut percevoir ce « Je ne sais pas ». Je ne sais pas qui je suis, ni ce que je fais, ni où je vais. Encore une fois, Lena arrive tout de même à raconter son histoire donc … soit c’est encore une facilité d’écriture, soit … ? Pourquoi on nous fait raconter le récit par Lena, une fois que les faits sont passés ? Et pas juste suivre les aventures en direct ? La principale raison semble être qu’elle peut donc raconter ce qu’elle veut, oublier certaines choses sans que ça se voit, justifier par la désorientation, et surtout, mentir sur le déroulement de l’affrontement final.
Pour terminer, je voudrais revenir sur la discussion entre Lena et Kane au début du film. Quand ce dernier revient et qu’elle lui pose de nombreuses questions. Ce dialogue soulève, à mon sens, deux théories majeures. La première, c’est la chronologie cachée Fossoyeur de Films. En effet, très vite, on comprend que la narration est décousue, par la manière dont le film est construit (Lena raconte son histoire, sans même parler des flash-backs). Dès lors, on peut envisager que les faits ne se déroule pas dans l’ordre qu’on nous montre. Quand Kane dit qu’il a reconnu Lena, par son visage, j’ai l’impression qu’on peut comprendre qu’il a reconnu qu’elle était comme lui, différente. Il aurait donc disparu depuis longtemps, et quand il revient, elle a eu le temps d’y aller également, et de revenir contaminé. Cela est tout de même fragile et peu soutenu par d’autres éléments du film.
La seconde théorie, c’est d’imaginer une distorsion de l’espace en plus du temps. Cela parait totalement farfelu je l’accorde, mais quand on analyse les paroles de Kane … Par exemple, il se trouve que plus tard on découvre, à l'intérieur du miroitement, l'exacte réplique de la maison de Lena et Kane. Elle est changée par le miroitement, mais c'est bien celle-là. Dès lors, on peut soulever l'hypothèse que cela se passe au même endroit et que les paroles énigmatiques de Kane font sens. Il était dans cette maison depuis le début, mais elle ne pouvait pas le voir ? Je dois bien avouer que cela est très étrange et farfelu... j'ai du mal à y croire moi-même et l’idée d’envisager cela comme uniquement un clin d’œil, pour évoquer le principe de mutation, qui s’étend au monde entier, même au bâtiment, est plus simple. Toutefois, comment est-il sorti ? La zone est bouclée ! Peut-être n’est-il jamais sorti de la maison …
« Je mérite des explications.
Est-ce important ?
Comment es-tu rentré ?
J'étais à l'intérieur.
De la maison ?
Non. Non, de la pièce. La pièce avec le lit. La porte était ouverte... et je t'ai vue. Je t'ai reconnue. Ton visage ».
A vos théories …
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Créée
le 27 mars 2018
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