Malgré sa mort annoncée avec l’avènement des images numériques, l’animation en image par image (ou stop motion) prouve toujours sa vitalité, affichant film après film une originalité qui n’appartient qu’à elle. La revendication du caractère saccadé de ses images en opposition à la fluidité et le réalisme de l’animation 3D, lui permet d’afficher sa singularité par rapport aux productions actuelles – voire son anomalie.


Et Anomalisa en est une d’anomalie, mais une belle, une anomalie dont on aimerait qu’il en fleurisse un peu plus souvent sur les écrans. Se déroulant presque entièrement dans une chambre d’hôtel, le film relate l’histoire de Michael Stone, un conférencier qui souhaite faire voler en éclat la banalité de sa vie et ne plus être soumis au désespoir qui semble l’animer. Le film prend alors les allures d’une odyssée introspective semée de pièges et d’embuches, à l’issue de laquelle il rencontrera Lisa, une anomalie elle aussi, prisonnière d’un monde dont tous les habitants semblent avoir le même visage.
C’est à partir de cette histoire, propice à une ambiance intimiste et à des dialogues brillants, que Duke Johnson et Charlie Kaufman développent une animation soignée et réaliste, à mille lieux de l’esthétique cartoon de Wallace et Gromit ou de l’excellent Paranorman. Car cette esthétique réaliste, voire naturaliste (jamais une scène de sexe animée n’aura été filmée avec tant de réalisme et de beauté) semble nous tendre un miroir, qui peut s’avérer dérangeant : ne sommes-nous tous que des marionnettes semblables les unes autres aux autres, nous débattant dans le vide pour afficher notre singularité ? Kaufman va toutefois plus loin en ancrant le film dans les thématiques de ces œuvres : la véritable tragédie du film réside dans la soudaine prise de conscience pour George de n’être qu’une figurine au sein d’un film d’animation. Le miroir de la fiction se brise, l’effet de distanciation provoqué semble prendre directement à partie le spectateur pour mieux l’interroger.


En définitive, Anomalisa est un film profondément mélancolique qui achève de libérer le cinéma d’animation du public familial auquel il était initialement destiné. Fonctionnant comme une parabole sur la vacuité de la vie, il invite toutefois à profiter de chaque instant et à retrouver cet émerveillement pour des choses qu’on finit par ne plus observer à force de trop les voir. Après tout, quoi de mieux qu’un film dont chaque seconde de plan a nécessité plusieurs jours de travail pour nous faire apprécier la saveur d’un instant figé ?


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DeanMoriarty
8
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le 9 févr. 2016

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DeanMoriarty

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