A oui
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le 5 mai 2018
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Septième long-métrage d’Andrew Niccol – dont la carrière est née au firmament avec Gattaca avant de doucement se précipiter avec In Time et The Host – Anon est débarqué en toute discrétion après son acquisition par la grosse machine Netflix, sans savoir si nous aurions du lard ou du cochon. Avec un agréable surprise, Niccol revient ici avec un concept très fort, film d’anticipation situé dans un futur où il n’y a plus d’intimité pour personne : les yeux de chacun sont modifiés leur permettant une vision améliorée d’informations et interactions diverses… ce qui leur impose aussi un enregistrement continu de leur regard, consultable par les autorités.
Derrière le concept, la mise en scène s’accroche jusqu’au bout à l’idée pour saisir le spectateur avec une efficacité radicale. Le concept du film dirige constamment la forme du film, qui alterne devant nos yeux deux formats : le cinémascope 2.35 qui traduit le cadre normal omniscient, puis le format 1.85 qui offre la vue subjective améliorée des personnages. Le parti-pris est audacieux et parvient à ne jamais s’essouffler. L’intégralité du métrage est une alternance entre l’omniscience et la subjectivité, une dualité jamais gratuite dans le sens où elle sert sans ciller le récit : les expositions de l’univers et des protagonistes, le déroulement de l’enquête policière, fil rouge de l’intrigue, et même les quelques scènes d’action où par exemple les modifications de la perception de l’environnement sont le moteur même de l’action, d’une course-poursuite, d’une menace, d’un revirement de situation. Le constant effet de bascule est passionnant.
L’autre dimension de cette dualité, qui pourra perturber certains spectateurs, c’est tout le contraste formel qu’il impose. Les vues subjectives sont ultra-riches, que cela soit la quantité invasive d’informations et la vitesse de leur affichage, mais aussi filmées avec un choix de photographie très scintillant, ainsi que des mouvements de cadre très fluides et un environnement sonore et musical multiple. C’est de l’artificialité pure par l’image où l’on se sent submergé. Face à cela, les visions extérieures omniscientes sont plus révélatrices du véritable ton du film : c’est une vision beaucoup plus froide et clinique de l’univers, avec un environnement sonore presque muet, des plans toujours fixes qui opèrent soit des compositions de cadre à la symétrie déséquilibrée soit des plans rapprochés la plupart du temps en plongée sur les personnages… Physiquement au sein du plan, la figure humaine est décalée, dévoyée, isolée.
Ce second aspect de la réalisation du film dresse alors plutôt bien le portrait d’une société complètement déphasée, déconnectée, où chacun est dans sa bulle exploitable par les plus forts. Dans ce sens, la relation entre les personnages est d’une froideur absolue, dessiné par le jeu hermétique des acteurs, l’échange robotique de leurs dialogues, ainsi que des scènes de sexe absolument glaciales. Un autre exemple ici parfait et vraiment effrayant, ce sont les scènes d’interrogatoire, muettes, où la seule tournure possible est la récolte de ses données visuelles pour définir sa culpabilité. Niccol, comme dans la globalité de sa filmographie, dresse toujours le portrait d’un monde en progrès mais dans le sens de la déshumanisation, sous la menace d’un système autoritaire et fasciste. Ici dans sa ligne de mire, ce sont sans conteste le monde des réseaux sociaux et du tout-connecté, signifié par l’environnement de la vision améliorée et de la réalité augmentée. L’exercice résonne d’autant plus avec les révélations récentes sur la collecte des données personnelles, une psychose moderne qui ne fait que naître et va à l’avenir connaître ses plus grands balbutiements. Dans cet aspect-là, le procédé du film est très fort en décortiquant la dictature contemporaine de l’image : « Ce n’est pas que j’ai quelque chose à cacher, dit un protagoniste à la fin du film, c’est qu’il n’y a rien que j’ai envie que tu vois ».
Au-delà de son sous-texte, le film adopte un récit classique de film noir des plus plaisants, avec l’inspecteur et la femme fatale, l’enquête à rebondissements, les costumes cravates et les clopes. Un genre tout ce qu’il y a de plus cinématographique, des plus connus et reconnaissables, sauce à la Chinatown où l’œil digital remplace l’appareil photo et les jumelles. De cette cinégénie du noir s’opère alors un vrai travail réflexif sur la mise en scène, le cadrage, le montage, les effets visuels, et la manipulation des sentiments de celui qui regarde : voilà qui rend au bout du compte l’exercice absolument passionnant.
Le scénario demeure sinon imparfait, aux sous-intrigues mal dépeintes et au twist final absolument maladroit. Dommage que le réalisateur ne parvienne pas à tenir son intrigue jusqu’au bout, ce qui n’enlève rien à la très bonne surprise qu’est Anon : on y retrouve un Andrew Niccol en forme qui livre un exercice de style fascinant, atypique dystopie où l’originalité de la forme interroge avec pertinence notre rapport (et celui du système) avec les avancées technologiques, un miroir illusoire de nos déconnexions aux derniers instants curieusement mélancoliques.
Créée
le 24 sept. 2018
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