Ne connaissant pas, à regret, les précédents films du réalisateur américain Sean Baker, surtout les 3 derniers Tangerine, The Florida Project et Red Rocket, consacrés aux travailleurs du sexe comme dans Anora, j'évalue ce long-métrage en tant que tel, et nullement impressionné qu'il ait eu la palme d'or au festival de Cannes.
Dans une Amérique décidément en pleine désillusion de son fameux rêve, Sean Baker nous plonge (le mot est faible) dans le monde frénétique et trash des stripteaseuses, avec leur quotidien difficile et peu glorieux. Alors quand l'une d'elle, Ani/Anora, décroche la timbale en rencontrant Ivan, le fils débile, désœuvré mais très riche, d'un oligarque russe, censé faire des études à New-York, elle n'hésite pas à accepter sa demande en mariage, en Cendrillon des temps modernes, le film ne manquant pas de faire allusion à Pretty Woman, disons une version hardcore sans le moindre romantisme. Car pour Ivan ce n'est qu'un jeu de plus, et surtout pour obtenir la fameuse green card qui lui permettrait d'échapper à ses parents qui l'insupportent et le pistent comme un adolescent attardé...
Mais quand ces derniers apprennent le mariage, et envoient des hommes de main dirigés par Toros, un prêtre orthodoxe très déterminé et habitué à rattraper les bêtises d'Ivan, et que ce dernier prend lâchement la poudre d'escampette, le film prend une allure Very Bad Trip avec un scénario hélas sans grande surprise et en pente douce, couronné par un final plutôt décevant, même si une scène offre alors une certaine humanité et une profondeur de sentiments bienvenus. Et pourquoi faire un tel tour de la ville pour retrouver Ivan alors qu'on devine assez vite où il a pu aller (!), si ce n'est pour faire durer le plaisir de la poursuite et passer quelques messages aux jeunes générations de bosser au lieu de passer leur temps sur les réseaux sociaux, quelle puissance pour une palme d'or ! Le tout avec des dialogues très pauvres, dénués d'humanité, et souvent bourrés d'insultes.
Et on se demande pourquoi, la belle et sensuelle Ani, après s'être battue comme une lionne pour défendre son mariage, jusqu'à la violence, finissant à grand peine par être bâillonnée dans une énorme scène d'anthologie de plus de 25 minutes, se laisse-t-elle faire ensuite sans aucune résistance, si ce n'est qu'elle affiche au fur et à mesure davantage de profondeur à son personnage... ? Et que dire de la discussion finale de Ivan, ce sale gosse bourré et drogué, avec ses parents, d'une platitude navrante pour le ramener au bercail ? Ani n'hésite pas à se montrer ironique sur le comportement stupide d'Ivan mais à quoi bon ?
Car de ces deux grandes parties, c'est nettement la première la plus intéressante et la plus intense du point de vue de la mise en scène, même si le trop grand nombre de scènes de sexe hard explicites (faisant passer Emmanuelle pour un film d'ados) n'apportent rien au propos, si ce n'est de faire sensation. Et l'ensemble sur une durée de 2h20 avec des longueurs où l'on finit par s'ennuyer, et où l'impression qui domine est le tout ça pour ça, malgré un rythme et une frénésies d'actions indéniables, doublés d'un côté vintage intéressant dans les images et la musique, mais sans le ressort scénaristique qu'on attend désespérément.
Mais c'est bien du côté du casting qu'on a la meilleure surprise du film avec dans le rôle titre de Ani/Anora une surprenante et excellente Mikey Madison, jeune actrice californienne de 25 ans déjà repérée par Sean Baker lors de sa courte apparition dans Once upon a time... in Hollywood de Quentin Tarantino, puis dans Scream... On sent que Mikey est investie à fond, quelles que soient les facettes de son rôle et elles sont nombreuses : son physique charmeur dont elle n'hésite pas à faire usage, la violence dont elle est capable, puis ses regards et son attitude désabusés, et enfin les sentiments qu'elle arrive à exprimer, surtout quand on devine que le réalisateur laisse pas mal de scènes à l'improvisation.
Le seul acteur capable de donner le change à Mikey est Karren Karagulian dans la rôle du prêtre orthodoxe Toros, qui passe sa vie à remettre Ivan dans le droit chemin, et qui mène avec énergie la partie Very Bad Strip du métrage jusqu'à sa conclusion !
En synthèse Anora m'a déçu, on y sent trop le côté racoleur et trash pour appeler au sensationnel, allant jusqu'à convaincre le jury du Festival de Cannes pour la palme d'or (à moins que ce ne soit pour récompenser son cycle sur les travailleurs du sexe ?) alors que d'autres films en lice, aussi différents que Les graines du figuier sauvage, Emilia Perez ou bien l'Amour Ouf l'auraient davantage méritée ! Mais ne nous faisons souci pour le succès du film, la curiosité de la palme fera son œuvre comme tous les ans.