Avant toute chose, évidemment que la qualité de ce film d'un point de vue cinématographique est indéniable. Les acteurs sont sublimes, l'image à couper le souffle où l'on retrouve le côté pop coloré cher à Sean Baker, un réalisateur que j'apprécie tout particulièrement. Et c'est pourquoi je suis d'autant plus perplexe et déçue devant cette Palme d'or dithyrambique.
Autant dans ce film, Sean Baker dresse un portrait de classe extrêmement poignant. Le malaise ressenti par le spectateur fasse au traitement reçu par l'entourage du jeune "Vanya" Zakharov est tout à fait réussi. Tout autant que l'humiliation que l'on ressent à travers Anora lorsqu'elle tombe de son piédestal, du côté de ceux qui doivent trimer pour gagner leur vie en étant au service de millionnaires comme Zakharov. Un thème que Sean Baker a déjà traité avec brio dans le film The Florida Project.
Malgré tout, le film traite de la vie d'une jeune strip-teaseuse, une femme perpétuellement perçue comme objet de désir du regard masculin. C'est pourquoi, l'intérêt était pour moi de retrouver dans Anora, la perception de son héroïne et découvrir cette réalité à travers SON regard et ainsi lui rendre sa qualité de SUJET... ce qui n'est le cas à aucun moment dans ce film et certainement pas dans les scènes de sexe particulièrement clichées se voulant satyriques (je l'espère...). Encore moins dans la violence de la scène de l'entrée des gardes-du-corps de Vanya dans l'appartement. Là encore, le spectateur rit de l'absurde de la situation où Anora en furie ne peut être maitrisé par les deux hommes qu'au prix d'une bataille mythique et de multiples contusions. Et c'est là toute l'ambiguïté du film...
Est-ce que toutes ces femmes retenues contre leur grès, humiliées, forcées à se taire (à l'image d'Anora, attachée et bâillonnée en culotte face à deux hommes qu'elle ne connait pas qui viennent d'entrer chez elle par effraction) riraient également de la situation ? Salueraient elles la mise en lumière de ce rapport de force complètement déséquilibré ?
Je suis évidemment extrêmement partagée. Je veux croire à un réel effort de la part d'un réalisateur de se mettre dans la peau de cette femme, comprendre sa réalité, ce qu'elle vit et comment se défend-t-elle dans ce monde qui ne lui a jamais fait de cadeau... Mais je ne peux m'empêcher de trouver ces scènes extrêmement maladroites (que dire de ce dialogue vers la fin du film à propos du viol, extrêmement ambigu dans son propos).
Avec le recul, toutes ces images ont créé chez moi un malaise parce qu'objectivement, j'ai aimé ce film dynamique et ambitieux, j'ai aimé cette héroïne et son histoire mais je reste mal à l'aise face au traitement de ce sujet qui pourrait être beaucoup plus subtil et centré sur le point de vue de l'héroïne (Quelle est son histoire ? Quelles sont ses pensées ?).
Malgré tout, ce film a le mérite de nous questionner sur le traitement de ces questions à l'écran et quelles sont nos attentes face à un film en 2024 qui se dit féministe, récompensé par une Palme d'or.