ANOTHER DAY OF LIFE (15,1) (Raul de la Fuente et Damian Nenow, ESP/POL, 2018, 86min) :


Le percutant Another Day of Life nous replonge de façon saisissante au cœur de la guerre civile d'Angola survenue en 1975, quelques semaines avant son indépendance, en suivant le voyage historique du journaliste Ryszard Kapuscinski, bien décidé à couvrir ce conflit pour l'agence de presse polonaise.


Raul de la Fuente et Damian Nenow choisissent une pertinente mise en scène hybride entre le documentaire et le film d'animation pour traiter avec force et audace le terrible naufrage d'une ancienne colonie portugaise scindée en deux fronts. Ce grand pays d'Afrique de l'Ouest à l'aube de son indépendance fixée le 11 novembre 1975, voit un conflit éclaté en août 1975 entre les forces du MPLA (Mouvement pour la libération de l'Angola) proche de l'URSS et de Cuba, et celles du FNLA (Front National de Libération de l'Angola) et de l'UNITA (Union Nationale pour l'indépendance totale de l'Angola), soutenues par l'Afrique du Sud, le Zaïre et les États-Unis, par le biais de la CIA. Deux factions qui rivalisent à travers des affrontements fratricides et sanglants pour prendre le pouvoir. L'Angola devient dès lors un pays épicentre de la Guerre Froide.


La caméra rend un hommage vibrant au destin de Ryszard Kapuscinski seul journaliste étranger resté en Angola à cette période chaotique en suivant son idéalisme, sa manière de traduire les cultures de façon ethnologique, littéraire et emplie de réflexions politiques pour décrire artistiquement la guerre aux yeux du monde. Les réalisateurs s'appuie librement sur le poignant livre témoignage D'une Guerre à l'autre, Angola 1975 publié par le reporter en 1976, puis traduit et paru en France en 2011 chez Flammarion racontant son séjour de trois mois là-bas et sa volonté de se rendre sur la ligne de fronts pour raconter au quotidien les atrocités de cette guerre civile angolaise. Ce long métrage en forme de voyage montre la perte des illusions de cet homme baroudeur prêt à risquer sa vie pour être au plus près de la vérité des massacres, et questionne son éthique journalistique, quant au fait de divulguer ou non certaines informations qui pourraient avoir telles ou telles conséquences sur le déroulement du conflit. Cette expérience aura pour conséquence de le faire quitter son métier de reporter pour devenir à part entière un écrivain.


De manière protéiforme, les auteurs alternent les magnifiques séquences d'animations soignées en motion capture, à travers des splendides scènes oniriques ou cauchemardesques, des psychédéliques visions surréalistes et également son graphisme très réaliste aux couleurs rougeâtres évoquant l'enfer, puis un aspect plus poche du documentaire avec des témoignages sous forme d'interviews de survivants ou d'images d'archives en noir et blanc des principaux témoins qui expliquent les différents rôles de chacun dans cette guerre. En outre, le fait de passer d'une personne animée à sa véritable image photographique ou filmique réelle procure une émotion particulière. Ces récits oraux dévoilent comment le journaliste voulait comprendre la guerre pour mieux la combattre. Des témoignages qui mettent aussi en lumière le fameux syndrome du «confusao», là où la frontière entre la fascination (notamment pour Carlota une séduisante révolutionnaire angolaise à la Che Guevara), la réalité, la paranoïa et la recherche de la vérité absolue, a failli faire perdre le contrôle mental à Ryszard Kapuscinki, et a littéralement changé sa philosophie de vie et son point de vue journalistique. Par sa sensationnelle picturalité et ses nombreuses introspections intimes, ce séduisant long métrage d'animation évoque régulièrement le bouleversant chef-d'œuvre Valse avec Bachir (2008) de Ari Folman. Mais le long métrage trouve également une vraie singularité dans sa forme romanesque, qui escamote parfois la véracité des faits pédagogiquement retranscris dans certains livres d'Histoire, afin de nous rendre cette fiction historique plus émouvante.


Cette inclassable expérience cinématographique immersive réussit le pari de raconter une effroyable guerre civile qui donne naissance à la « naissance du tiers monde », et l'implication indispensable des journalistes pour alerter continuellement le monde à savoir, comment de la haine surgit les guerres... Another Day of Life justement récompensé par le « Prix du Meilleur film d'animation Européen » à la cérémonie des European Films Awards 2018, s'avère être une passionnante évocation douloureuse universelle. Fascinant. Terrifiant. Salutaire.

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le 24 janv. 2019

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